L’un des plus anciens témoignages sur la vie à Locronan au XIXe siècle est celui d’Armand du Chatellier (Quimper 1797, Pont-L’Abbé 1885), auteur d’une "Histoire de la Révolution dans les départements de l’ancienne Bretagne" :
"Placés sur un lieu de passage pour tous les marins français qui se rendaient de l’intérieur à Brest à l’aide de chevaux de relais, seul moyen de transport quand le service des diligences n’avait point encore été régularisé, nous avions l’occasion, presque chaque jour, de voir sur la place publique de Locronan des officiers et de nombreux marins du port de Brest ou de Lorient, en quête de chevaux de louage. Ces officiers et ces marins se promenaient plus ou moins de temps au milieu des habitants, toujours curieux de les voir et de leur offrir leurs services. Jeunes et curieux nous-mêmes, comme les plus avisés de la localité, nous étions de tous les groupes et de toutes les conversations. Nous avions d’une autre part, comme tous les jeunes enfants de l’endroit, nos fouets tressés de chanvre pareils à ceux des loueurs de chevaux qui offraient leurs localis ; et faisant claquer nos touches à coups répétés, nous eussions été prêts comme eux à prendre notre course à la suite des partants pour ramener leurs chevaux si nous n’avions pas eu nos verbes et nos déclinaisons à répéter au bon M. Vistorte, notre maître ès toutes sciences"1.
Il n’était plus à Locronan le 2 janvier 1808 lorsque la foudre frappa le clocher de l’église. Le maire, Jean Danielou, écrit le lendemain à l’évêque de Quimper2 : "Nous avons éprouvé hier un évènement bien désastreux ; à six heures et demie un coup de tonnère affreux a éclaté sur l’église de Locronan, cet édifice que nous tenions de la munifissance des anciens souverains de Bretagne et éprouvé un dommage irréparable. La tour, l’une des plus belles du Finistère est totalement ruinée. Deux maisons voisines sont écrasées et plusieurs autres très endommagées…". Bigot expose dans le bulletin archéologique de l'association bretonne3 les conditions dans lesquelles on abattit ce qui restait du clocher : "on jeta des grapins de navire sur le sommet de la pyramide fendue, et la population fut appelée à tirer sur les cordes, qui se rompirent plusieurs fois, afin d'arracher à grands efforts la partie supérieure du monument. On y réussit enfin, mais ce système de destruction barbare eut les tristes effets que l'on devait attendre. Des blocs détachés de la masse, après avoir enfoncé les toitures, renversèrent dans leur chute certaines parties de la voute du vaisseau, et ce n'est que par miracle que le tombeau si bien sculpté de Saint Renan, et l'ensemble de l'édifice, échappèrent aux excès de ce vandalisme de l'ignorance".
Cet évènement va changer l’aspect de la place. Le clocher principal n’existe plus et ne sera jamais reconstruit, comme on peut le voir sur la plus ancienne gravure connue de Locronan, qui illustre Le Finistère en 1836 d’Emile Souvestre4.
Dans ses notes sur Locronan, Louis Le Guennec (1878-1935) fait état de croquis réalisés vers 1820 par un certain F. Debret, qui pourrait être l’architecte François Debret (1777-1850), architecte du gouvernement, membre de l’institut. Etait-il venu à Locronan à la suite de la chute du clocher ? Ce croquis, que Le Guennec reproduit de mémoire, "montre l’église vue de face, avec le clocher surmonté de sa flèche octogonale, assez courtaud, non ajourée, garni sur ses 4 pans face d’une haute lucarne à 6 ouvertures. On voit à droite de la chapelle du Penity une grande porte cintrée, et à gauche de l’église un pignon de chapelle qui n’existe plus, puis une autre porte cintrée . Le reste n’a pas changé…Il y avait une galerie gothique à la tour de Locronan analogue de celle de Pont-Croix, mais pas de clochetons latéraux.".
Le pignon de chapelle évoqué par le Guennec était en fait celui d’une maison connue sous le nom de "Ti bian an ilis" (la petite maison de l’église), qui appartenait à l’église Saint Ronan.
Un dessin du clocher avec sa flèche, qui était semblable à celui de Pont-Croix, a été proposé récemment par Hervé le Bihan :
Après 1830, l’état de l’église est surveillé attentivement par le conseil de fabrique. Celui-ci note que jusqu’alors le gouvernement avait toujours octroyé des secours pour son entretien, mais qu’ils se sont taris depuis. L’idée qu’il faut préserver les vieux monuments est défendue au gouvernement par les passionnés que sont Ludovic Vitet et Prosper Mérimée. Une commission des monuments historiques est créée en 1837, ses inspecteurs parcourent la France. C’est à ce titre que Mérimée voyage en Bretagne, et une première liste de monuments classés, où ne figure pas Locronan, est publiée en 1840. L’architecte départemental Bigot en 1842, qui dessine les plans de l’église, puis Lassus, architecte du gouvernement et l’un des restaurateurs de Notre-Dame de Paris, se déplacent à Locronan et réclament des travaux urgents. Le rapport Lassus insiste sur l’intérêt historique et architectural de l’église.
Jean Baptiste Lassus relate sa visite dans un article des Annales Archéologiques de 1844, frappé par la misère et la beauté des habitations5 :
"En traversant le bourg, nous nous étions arrêtés, surpris de la recherche que présentent toutes les maisons ; nous étions étonnés devant toutes ces façades en pierre de taille, et qui même souvent sont ornées de sculptures. Malheureusement, semblables à ces beaux fruits que le ver a piqué au cœur, toutes ces tristes habitations n’ont plus que l’enveloppe et servent aujourd’hui à la plus affreuse misère. Presque partout les planchers sont défoncés, les cloisons renversées, les combles à jour, et tous ces pauvres propriétaires ne peuvent rien pour réparer leurs maisons, rien pour améliorer leur sort ; l’industrie les a ruinés en leur enlevant leur seule ressource, le tissage des toiles à voile !"
Il ajoute que malheureusement le recteur « se trouve dans une localité sans ressources, et l’église est à peu près dans le même état que les habitations du bourg. Des voûtes défoncées, des murs perclus d’humidité, des vitres brisées, tel est le spectacle qui frappe et attriste le visiteur ; et ce monument présente un véritable intérêt.".
L’église sera finalement classée en avril 1845. Cela permettra d’obtenir quelques milliers de francs de subventions pour parer au plus pressé. Il était temps puisque le samedi 8 juillet 1843, veille de Troménie, le maire écrit "qu’ une énorme poutre s’est détachée par vétusté du second plancher du clocher, s’est partagée en deux, a brisé le plancher du premier étage et est tombée sur le pavé de l’église en faisant un bruit qui a épouvanté les habitants de la ville". Mais les travaux importants, comme la reconstruction des balustrades de pierre, sont refusés.
Ce classement sera aussi invoqué pour préserver l’environnement de l’église. Il sera à l’origine du refus de la reconstruction de "Ti bian an ilis". Vers 1848, Pierre Forestier, marchand de vin, avait racheté aux héritiers Broche le petit terrain situé au coin de l'église et à gauche du porche, déjà vendu une première fois en 1810 à Jean Cornic. Il obtiendra l'autorisation d'y construire une petite maison en brique, malgré l’opposition du conseil de fabrique de l'église Saint Ronan. En 18516, un arrêté préfectoral va exiger sa destruction, mais Forestier pourra revendre son terrain à la fabrique à titre de dédommagement.
Six ans après le classement, les habitants de Locronan avaient compris tout l’intérêt que l’on pouvait en attendre pour la conservation d’un monument public. Mais les restaurations suggérées ne sont pas toutes opportunes, comme celle proposée par le Préfet en 1881, qui voulait décaper la très belle chaire polychrome pour retrouver la couleur du bois ; elle sera refusée par la fabrique. Après les travaux qui ont suivi le classement de l’église, les crédits vont à nouveau se tarir jusqu’à la fin de ce XIXe siècle.
Après les travaux de 1854, il faudra attendre les années 1890 pour que les Beaux-Arts acceptent de financer d’autres opérations de rénovation de l’église. Un rapport du Conseil Général de 1891 souligne que « la vieille église de Locronan tient une place des plus honorables parmi les monuments historiques du Finistère ; mais elle est dans un état de délabrement qui rend nécessaires à bref délai des travaux d’assainissement et de conservation. M. l’architecte Gout a présenté, dans ce but, un devis descriptif et estimatif, estimant la dépense à effectuer à 14 518 F ». Gout, architecte des monuments historiques, sera chargé du Mont Saint-Michel en 1898.
Cette somme de 14 518 F sera ensuite augmentée de 9 912 F. Il s’agit de travaux de maçonnerie qui seront réalisés entre 1893 et 1897 : consolidation des murs par une reprise de leurs fondations, achèvement du rejointoiement extérieur, restauration d’une voûte de la chapelle qui menace ruine.
Une seconde tranche de travaux commencera en 1903 à la suite d’une donation de 11 000 F d’une riche veuve, amoureuse de Locronan, Madame Paul Lemonnier. L’administration et ses partenaires habituels porteront cette somme à plus de 31 000 F ; elle servira à finir les travaux de sculpture et de maçonnerie, puis à rénover les vitraux. C’est en 1903 que furent reconstruites les balustrades de pierre qui avaient été détruites en 1808. De nombreuses photos et cartes postales montrent l’église avant et après cette restauration.
Le don de Madame Lemonnier était surtout destiné, dans son esprit, à la rénovation des vitraux. C’est Marcel Delon, peintre verrier parisien, qui emporta le marché, les cartons étant réalisés par Marcel Magne. Ils créèrent le vitrail relatif à la bataille de Patay d’une des fenêtres du Péniti, sur lequel on peut voir leurs deux signatures.
La création des cartons se faisait par un échange constant entre Marcel Magne et Madame Lemonnier qui donnait son avis. Mais celle-ci fut très contrariée par la réalisation finale du vitrail. Elle ne versera le reliquat de ses 11 000 F qu’après les conclusions d’une enquête des monuments historiques affirmant que le résultat était à l’abri de toute critique.
Pour la grande vitre du chœur, l’essentiel du travail consista en la « réfection des panneaux de la partie inférieure comprenant les cartons et l’exécution sur verre, soit 12 panneaux de 0,675 x 0,515 m », en conservant quelques anciens morceaux. Nous comprenons pourquoi les couleurs de cette rangée basse nous paraissent aujourd’hui plus vives que les autres. Cet épisode montre combien ces restaurations de vitraux sont délicates. D’autres nettoyages ont eu lieu pendant la seconde guerre mondiale (la verrière est alors démontée et mise à l’abri en 1942), en 1973 (par J.J. Gruber) et 2002. La restauration de 1973 est suivie d’une réapparition assez rapide de taches sombres qui masquent les couleurs (lèpre du vitrail). En 2003 le vitrail sera doublé d’une protection en verre pour le mettre à l’abri des pollutions ambiantes. Mais beaucoup de couleurs sont atténuées ou ont disparu.
Notes
1 A. MAUFRAS du CHATELIER, Notes et Souvenirs, Archives de la famille Maufras du Chatelier, Orléans, 1881.
2 Annales Archéologiques, Légende et tombeau de Saint Ronan, Paris 1844, pp186-189.
3 Arch. Diocésaines de Quimper, Locronan, série AAA 7, Lettre du trois janvier, de Danielou maire de Locronan, à l'évêque de Quimper, 1808.
4 Emile SOUVESTRE, Le Finistère en 1836, Brest,1838.
5 LASSUS, Légende et tombeau de Saint-Ronan, Annales Archéologiques, 1844, p186-189.
6 Arch. Dep. Finistère, 1851.