Locronan accueille tous les ans des milliers de visiteurs, qui viennent admirer sa vieille place médiévale. Elle est décrite dans de nombreux livres et guides touristiques, qui attribuent la construction de ses belles maisons à la prospérité de son industrie de toiles à voiles au XVIIème siècle. Nombreux aussi sont ses enfants qui, ayant grandi dans ce décor de cinéma, ont voulu savoir quels avaient été les anciens occupants de ces habitations. Beaucoup de cartes postales anciennes la représentent avant son classement comme "monument historique" juste avant 1930.
Les deux plans cadastraux de 1808 et 1847 recensent les propriétaires du début du XIXème siècle. Auparavant, les documents les plus anciens décrivant notre petite ville sont les "aveux" au Roy des prieurs des années 1550, 1557 et 1680. Ils ne comportent pas de plan, mais énumèrent par rue et par maison les taxes payées par les propriétaires.
Il n'est pas possible, faute de document, de retracer l'histoire de chaque maison entre ces deux dates. Les actes notariaux1 conservés aux Archives Départementales du Finistère sont postérieurs à 1737. Avant cette date, on peut cependant, mais pour quelques maisons seulement, utiliser les archives du prieuré disponibles à la bibliothèque diocésaine de Quimper, ou celles de l'Abbaye Sainte-Croix de Quimperlé, dont dépendait le prieuré de Locronan.
Nous avons aussi consulté aux Archives Départementales de Quimper les registres de contrôle des actes2 notariés (1717-1791), du centième denier (1720-1788) et des insinuations (vers 1730), ainsi que les trois registres de capitation3 (1718, 1720 et 1742) conservés aux Archives Départementales de la Loire-Atlantique.
Les cadastres napoléoniens sont consultables "en ligne" sur le site des Archives Départementales. Pour référencer chaque maison, nous utiliserons la numérotation du plan de 1847, car en 1808 seuls les blocs d'immeubles avaient été dessinés4.
La place en 1550 et 1557
On trouve aux archives de Nantes les originaux des aveux du prieur de 1550, 1557 et 1680, et à celles de Quimper une copie de celui de 1550 (voir page sources). Ces aveux recensent les redevances dues au prieur sur les propriétés de sa seigneurie, classées par rues. Ils nous renseignent sur les noms des rues au XVIème siècle. Si certains sont encore les mêmes aujourd'hui, la plupart ont changé. L'actuelle Place de l'Eglise s'appelait Rue Creis an Kaer. Cinq rues arrivaient aux quatre coins de la place : la Rue an Goffuel au sud-est (rue Saint-Maurice), le Rue Goriou au sud-ouest (rue Lann), un chemin menant à la fontaine Saint René au Nord-ouest (venelle Toul Prichen) et au nord-est la rue Moal et la rue des Charrettes qui ont gardé leur nom. Il faut y ajouter la rue du Parc, celle qui longe l'Eglise, devenue aujourd'hui rue du Four. L'actuelle rue du Prieuré, face à l'Eglise, n'existait pas, n'ayant été percée qu'en 1875. On voit que la structure du bourg au milieu du XVIème siècle devait être analogue à celle des cadastres napoléoniens.
Une vingtaine de lots y sont répertoriés, comme en 1847. La redevance la plus importante, dix sept deniers, est payée par Yvon Larmor et sa femme. Plusieurs propriétaires sont qualifiés de maître, mais en général les professions sont absentes. Certains d'entre eux possèdent plusieurs lots sur la place : cinq pour la veuve de Pezron Cloerec, trois pour Jehane Le Borgne veuve de maître Guillaume Morvan. La place accueille des hommes de loi, et sans doute aussi des marchands suffisamment riches pour avoir plusieurs maisons.
Les rubriques précisent, en principe, la situation des maisons : "dessus l'hostel Le Berre, qui fut à Glanchart, jouxte le pignon de l'esglise Sainct Renné, à présent aux enffentz feu Yvon Calvez, douze deniers". Cette maison sera détruite par la chute du clocher en 1808. Face à elle on trouvait "l'hostel Le Marrec, depuix à Yvon Pensere, estant vis à vis de ladite maison qui est contre le pignon de l'esglise Sainct Renné, de l'aultre costé de ladite placze, joignant la maison de Jehanne Le Borgne, à présent à Guillaume Conan".
Il n'est pas possible cependant de dresser avec certitude le plan complet de la place à cette époque.
La place du XVIIème au XXème siècle
Au XVIIIème siècle on trouve sur la place plusieurs familles d'hommes de loi et de marchands de toiles, mais aussi des aubergistes et des artisans du bâtiment. La suppression des justices seigneuriales sous la révolution va entraîner le départ des greffiers, notaires ou procureurs, et le déclin inexorable du tissage celui des négociants en toiles. De nombreuses maisons changent de propriétaires, et selon Jean Baptiste Lassus qui visite Locronan en 1845, leur situation n'est guère enviable5 :
« En traversant le bourg, nous nous étions arrêtés, surpris de la recherche que présentent toutes les maisons ; nous étions étonnés devant toutes ces façades en pierre de taille, et qui même souvent sont ornées de sculptures. Malheureusement, semblables à ces beaux fruits que le ver a piqué au cœur, toutes ces tristes habitations n’ont plus que l’enveloppe et servent aujourd’hui à la plus affreuse misère. Presque partout les planchers sont défoncés, les cloisons renversées, les combles à jour, et tous ces pauvres propriétaires ne peuvent rien pour réparer leurs maisons, rien pour améliorer leur sort ; l’industrie les a ruinés en leur enlevant leur seule ressource, le tissage des toiles à voile ! ».
Deux d'entre-elles seront détruites entre 1875 et 1882 pour faciliter le passage de la route Quimper-Lanvéoc6. Mais la plupart seront sauvées grâce à l'action de Charles Daniélou, maire de Locronan et plusieurs fois ministre, qui obtient le classement de toutes les maisons de la place dans les années 1920. Toutes les rénovations de ces maisons devront recevoir l'aval des Monuments Historiques. La place elle-même est classée avec son puits, ce qui permettra de masquer tous les fils électriques lors de l'électrification du village en 1929.
Nous avons tenté de refaire l'histoire de chacune des maisons, à l'aide de documents de la fin du XVIIème au début du XXème siècle. Nous rappelons que la numérotation est celle du plan cadastral de 1847, représenté ci-dessous. Les parties en couleur appartenaient à l'église avant 1789.
Pour les maisons étudiées, un clic sur son numéro renvoie à la page correspondante.