Les biens nationaux, acquis à la nation, sont ceux provenant de l'église et des émigrés, et aussi ceux tombés "en déshérence" après la suppression des anciennes justices. A la suite des nationalisations, ils seront expertisés et vendus, les premiers en 1791, et la plupart d'entre eux sous le directoire, à partir de 1796. Les conditions de vente étaient fixées par la loi du 28 ventose an IV (18 mars 1796)1. Selon l'article 5 "la valeur des biens à vendre sera fixée sur le pied de 1790, et calculée à raison de vingt-deux fois leur revenu net, pour les terres…" et (article6) les prix des maisons "seront également évalués sur le pied de leur valeur en 1790, calculée à raison de dix-huit fois leur revenu net, d'après les baux existant en 1790". Pour accélérer la vente la loi créait des mandats territoriaux. Tout porteur de ces mandats pouvait faire une soumission d'achat d'un bien national. Selon l'article 4 " le contrat de vente sera passé sur le prix de l'estimation qui en sera faite, à la condition d'en payer le prix en mandats, moitié dans la première décade, et l'autre moitié dans les trois mois". Les maisons et édifices destinés par la loi à un service public n'étaient pas concernées (article 7).
La dépréciation des mandats territoriaux va permettre aux acheteurs de faire des achats très avantageux de biens estimés sur leur valeur en livres de 1790, et la loi devra être adaptée. En 1798, les ventes se feront par référence aux lois des 16 brumaire an V (6 novembre 1796), 9 vendémiaire et 24 frimaire an VI (30 septembre et 14 décembre 1797). Les enchères publiques sont rétablies dès décembre 1796. Le payement devra se faire en partie en numéraire.
Après octobre 1798 les actes de ventes se réfèrent aux lois des 26 vendémiaire et 27 brumaire an VII (17 octobre et 17 novembre 1798), puis à celles des 15 et 16 floréal an X (5 et 6 mai 1802).
La liste des biens nationaux vendus dans le Finistère a été établie en 18242 par Pierre Marie Legrand, archiviste. Pour Locronan, les actes d'expertises de soumissions et de ventes sont dispersés dans plusieurs registres3, de 1791 à 1799. Ils concernent :
1) Les trois chapelles de Saint-Eutrope, Saint-Maurice et de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle, vendues en juillet et août 1796 respectivement à Louis Antoine Gestin, commis ordinaire de la Marine, chargé de la Manufacture Nationale des Toiles à Locronan, Antoine Joseph Parmentier, greffier de la commune de Locronan, et Guy Bernard, citoyen de Locronan. Mais la procédure concernant Saint-Eutrope ne va pas aboutir, et une seconde vente est enregistrée en 1798, au profit de François Jérôme Le Dean, de Quimper, le 24 floréal an VI (13 mai 1798).
Chapelle | Expertise | Vente | Acquéreur | Prix | Cote | |
Saint Eutrope | 27.7.1796 | 28.7.1796 | L.A.Gestin | 758 | 1 Q 681 | |
Saint Eutrope | 13.5.1798 | F.J.Le DEAN | 2225 | 1 Q 689 | ||
Saint Maurice | 14.8.1796 | 16.8.1796 | A.J.Parmentier | 325 | 1 Q 685 | |
Bonne Nouvelle | 18.8.1796 | 23.8.1796 | G.Bernard | 1350 | 1 Q 686 |
Expertise et vente des chapelles
2) 14 maisons et dépendances, dont plusieurs en très mauvais état, sinon ruinées, provenant des fabriques de Locronan et des Ursulines de Quimper. La plus importante, Ty an Ilis (la Maison de l'Eglise), située au coin de la place et de la rue du Four, fut acquise par René Albert, fils d'un ancien chaudronnier de Locronan ; au XXème siècle, elle a longtemps abrité les tissages de l'Ancienne Compagnie des Indes. Elle avait été cédée à la fabrique Saint Ronan en 1688 par Yves Guezengard, marchand, et Marie Decourt sa femme, en échange d'une fondation, d'une somme d'argent, et du droit d'y demeurer jusqu'à leur mort.
Parmi les autres ventes, citons celle de Ty Bian an Ilis, la Petite Maison de l'Eglise, située au coin gauche du porche de l'église, le four banal face à la poste ; une petite maison en ruines acquise à la République lors d'une succession vacante, au milieu du côté sud de la place et aujourd'hui disparue.
Nom | Expertise | Locataire | Vente | Propriétaire | Acquéreur | Prix | Cote |
Maison ruinée | 09/06/1791 | P.Guichaoua | 16/06/1792 | Chapel. du Mat | G.Leissègues | 240 | 1 Q 183 |
Four banal | 10/06/1791 | H.Le Douerin | 16/06/1792 | Prieur | H.Le Douerin | 950 | 1 Q 183 |
Maison1/2 | 15/07/1796 | J.Bouguion | 04/08/1796 | Fa.St.Ronan | O.Moreau | ||
Maison2/2 | 15/07/1796 | O.Moreau | 04/08/1796 | Fa.St.Ronan | O.Moreau | 780 | 1 Q 683 |
Maison1/2 | 5/07/1796 | J.Bouguion | 13/05/1798 | Fa.St.Ronan | Damey | ||
Maison2/2 | 5/07/1796 | O.Moreau | 13/05/179 | Fa.St.Ronan | Damey | 4900 | 1 Q 689 |
Maison | 24/06/1796 | J.Chapalain | 05/08/1796 | Ursulines | J.Chapalain | 324 | 1 Q 684 |
Ty an Ilis | 29/07/1796 | Dubeau | 06/08/1796 | Fa.St.Ronan | J.Albert | 810 | 1 Q 684 |
Ty Bian anIlis | 29/07/1796 | Corps de Garde | 05/08/1796 | Fa.St.Ronan | R. Brochet | 202 | 1 Q 683 |
Maison | 24/07/1797 | République | Leissègues | 360 | 1 Q 688 |
Expertises et ventes de quelques maisons
3) Une trentaine de champs, jardins et courtils dispersés en divers endroits de la commune. La plupart seront expertisés une première fois entre le 28 mai et le 10 juin 1795, et une seconde fois avant les ventes, à partir de 1796.
Nom | Expertise | Locataire | Vente | Propriétaire | Acquéreur | Prix | Cote | Cadastre 1847 |
Parc ar Viguel | 09/06/1791 | 16/06/1792 | Chap. Mat | Y. Pïriou | 200 | 1 Q 180 | ||
Champ et Courtil | 05/07/1798 | M.Le Houarner | 22/08/1798 | Nation | N.Danielou | 5600 | 1 Q 689 | I 97, 98 |
Foennec St Eutrope | 07/07/1796 | 26/07/1796 | F. StEutrope | C. Durand | 1496 | 1 Q 681 | II 31 | |
Foennec Kernescop | 26/07/1796 | F. StEutrope | C. Durand | 1210 | 1 Q 681 | II 66 | ||
Foennec an Haon | 07/07/1796 | 26/07/1796 | F. St Ronan | C. Durand | 2002 | 1 Q 681 | II 34 | |
Ces 3 prés, 2e vente | 16/11/1797 | J. Le Dean | 14000 | 1 Q 688 | ||||
Montagne de Kerdoutoux | 03/07/1796 | 06/08/1796 | G.Moellien | J.L.Sauveur | 440 | 1 Q 684 | ||
Parc ar Leur | 15/07/1796 | L. Barré | 04/08/1796 | F. St Ronan | C. Chapalain | 462 | 1 Q 683 | II 94 |
Expertises et ventes de quelques champs
4) Quelques tenures à domaine congéable. Un bail à convenant, ou à domaine congéable4, était un contrat particulier à la Bretagne, par lequel " le propriétaire d'un fonds, en s'en retenant la propriété, transporte et aliène les édifices et superficies, et cède, précairement et pour un temps limité, la jouissance de ce fonds, moyennant une certaine redevance annuelle, en lui remboursant préalablement ses améliorations, qui comprennent les édifices et superficies".
Nom | Expertise | Domanier | Vente | Propriétaire | Acquéreur | Prix | Cote |
Moulin du Prieuré | 10/06/1791 | J.Le Guilloiu | 16/06/1792 | Prieur | R.L'Hergouarch | 3375 | 1 Q 183 |
Kervavarn | 25/02/1798 | J.L. Sauveur | 15/04/1798 | G.Moellien | J.L. Sauveur | 55 200 | 1 Q 688 |
Le Rest | 09/07/1798 | Vve F.Kernaleguen | 22/08/1798 | G.Moellien | A. et F.Kernaleguen | 31 000 | 1 Q 689 |
Bourlan Bras | 12/07/1798 | Y et H. Chapalain | 24/04/1799 | G.Moellien | G.Nezet | 765 | 1 Q 692 |
Creach 1 | 13/07/1798 | 08/11/1803 | G.Moellien | J.J.Planquet | 1425 | 1 Q 718 | |
Creach2 | 13/07/1798 | J.Le Bris, veuve | 20/09/1798 | G.Moellien | H.Moreau | 8 500 | 1 Q 689 |
Creach 3 | 15/07/1798 | F. Moreau | 20/09/1798 | G.Moellien | M.H.Rouloin | 9 700 | 1 Q 689 |
le Mez | 16/07/1798 | N. et J.Le Hemon | 22/08/1798 | Quemper Lanascol | N.Danielou | 19 500 | 1 Q 689 |
la Villeneuve | 12/08/1798 | G.Nezet | 24/04/1799 | G.Moellien | C.Nezet | 680 | 1 Q 692 |
la Villeneuve | 13/08/1798 | P.Sauveur | 24/04/1799 | G.Moellien | Veuve Mombet | 565 | 1 Q 692 |
Expertises et vente de domaines congéables
Au début de la Révolution, la question de la propriété de ces domaines après la suppression des droits féodaux va être posée : appartenaient-ils au domanier, c'est-à-dire au paysan exploitant, ou à celui qui possédait le fonds ? D'abord attribué aux premiers, à la grande joie des agriculteurs, ils seront ensuite restitués aux seconds, bourgeois des villes environnantes, après de furieuses batailles judiciaires.
Contrairement aux paroisses voisines, comme Plonévez-Porzay, les convenants étaient peu nombreux sur le territoire de Locronan. Le plus important d'entre eux, celui de Kervavarn, sera acquis le 15 avril 1798 par l'exploitant d'alors, Jean-Louis Sauveur, l'adjoint de la municipalité ; le 6 août 1796 il avait déjà acheté la "Montagne de Kerdoutoux", vaste étendue de landes sur le flan nord de la Montagne de Locronan.
Si quelques-uns de ces acquéreurs demeuraient à Locronan, beaucoup étaient des bourgeois, propriétaires, négociants ou marchands, qui résidaient à Quimper ou à Douarnenez. Ils exerçaient très souvent des fonctions officielles dans les nouvelles structures révolutionnaires.
Le plus connu est François Jérome Le Dean5 (1744-1823) : député de l'Assemblée Constituante, maire de Quimper (1791-1793 et 1799-1803), membre du directoire du département du Finistère, baron d'empire (1810). Il sera acquéreur de nombreux biens nationaux autour de Quimper, dont quatre à Locronan : la chapelle Saint-Eutrope et trois prés près du Ménec, Foennec Saint-Eutrope, Foennec Kernescop et Foennec ar Nouy. D'autres acquisitions le rendront propriétaire du village du Ménec (cadastre 1808). N'étant pas marié, ce village reviendra en 1823 à l'une de ses nièces, épouse de Le Bastard de Kerguiffinec.
Le principal acquéreur sera Nicolas Danielou. En 1789 est il procureur au présidial de Quimper; mais était né à Locronan le 30 mars 1756, fils de Jean Nicolas et de Françoise Le Coz. Il deviendra par la suite receveur général du Finistère. Il va acheter le convenant du Mez et sept pièces de terre, dont un champ et un courtil autour de l'ancienne maison priorale.
La veuve Piclet, Jeanne Le Dem, marchande de toiles, achètera quatre champs. Elle habitait sur la place de Locronan, face à l'église, dans la maison qui sera détruite en 1875 pour permettre le passage de la route Quimper-Crozon. En 1789, son mari Louis Piclet était sénéchal du prieuré. Il deviendra par la suite juge de paix à Pont-Croix. En 1793 il fait partie des 27 administrateurs du Finistère guillotinés sous la Terreur.
Corentin Chapalain, aubergiste à Douarnenez, acquéreur de trois champs, était lui aussi originaire de Locronan.
Hervé Lazare Douérin, fournier du prieuré, l'un des premiers acquéreur de biens nationaux à Locronan, achète le four banal du prieuré et sa maison le 16 juin 1792, et obtiendra plus tard trois prairies. Le même jour de 1792, Ronan l'Helgouarch devient propriétaire du moulin du prieuré, où il paie une patente comme meunier en 1800.
Si l'on excepte le convenant du Mez des Quemper Lanascol, vendu à Nicolas Danielou, le seigneur de Moëllien était propriétaire foncier de tous les autres, dont les acquéreurs étaient :
Jean-Louis Sauveur, de Locronan, pour Kervavarn .
Hervé Moreau, de Locronan, cultivateur à Kerourien, Henri Roulouin et Planquet Jean Jacques pour les convenants du Creach.
Guillaume Nezet, de Locronan, et Pierre Sauveur, exploitants des lieux, pour les deux convenants de La Villeneuve (Kernevez).
Guillaume Nezet, de Locronan, pour Bourlan Bras.
Alain et Yves Kernaleguen, de Locronan, exploitants des lieux, pour Le Rest Yves, procureur de Plonevez-Porzay en 1792, en deviendra le maire en 1814, et Alain sera maire de Locronan de 1818 à 1824.
Certains convenants, rattachés à Locronan en 1792, retourneront à leur ancienne commune par la suite : La Villeneuve à Quéménéven, Le Rest à Plonévez-Porzay.
Nous constatons que la plupart des nouveaux propriétaires fonciers sont des cultivateurs, qui achètent leur convenant ou un autre voisin.
Ils sont concurrencés par les bourgeois des villes proches, surtout dans les communes voisines, et parfois même par des membres de la même famille que l'émigré. Ainsi à Tresséol, lors de la succession de Jacques Farcy de Cuillé, les héritiers sont les familles de ses trois filles, Pauline épouse de Marc du Coetlosquet, Julie épouse de Guillaume de Guichardie et Sévère épouse de Balthazar de Ravenel. Mais les deux premières étant émigrées, leurs parts reviennent à la République ; lors de la vente elles seront rachetées par les Ravenel.
Notes
1 Recueil général des lois, décrets, ordonnances, etc., Paris, 1835, Tome VI, pp431-3.
2 Arch. Dép. Finistère, 1 Q 1211, Biens nationaux, liste des ventes par commune, 1824.
3 Arch. Dép. Finistère, 1 Q 180, 183, 1 Q 372, 507, 675,678,680, 681, 683, 684, 685, 686, 688, 689, 691, 692, 697, 703, 718, 760, Expertises, soumissions et ventes des biens nationaux, 1791-99.
4 Gallica, Archives de la Révolution Française, Question sur les domaines congéables en Bretagne, 1792.
5 Une soirée à PenanRos chez les Le Déan à la veille de la révolution, Archives familiales, 2009, http://pdbzro.com/pdf/penanros.pdf