Carrières

Une délibération du conseil municipal du 16 juin 1826, nous renseigne sur les conditions d'exploitation des pierres de la montagne:

"Considérant que depuis un très grand nombre d'années, la montagne de Locronan a offert des moyens de se fournir des pierres à la construction et que les usages étaient que les habitants n'étaient tenus à rien payer, tandis que les habitants des communes autres étaient admis à en tirer un nombre quelconque pour leur usage en payant vingt centimes par charrettée enlevée.
Considérant que ladite montagne n'a point de carrière ouverte, ni d'entrepreneur à l'exploitation, ce qui a laissé exister comme au temps passé l'ancien usage qui est de tenir compte à Mr le maire vingt cinq centimes à raison des charrettées enlevées, laquelle s'était ensuite versée dans la caisse de Monsieur le receveur municipal.
Considérant encore que s'il a été d'après arrangement avec monsieur l'entrepreneur des écluses de Châteaulin permis de prendre sur ladite montagne des pierres à raison de cinquante centimes la charrettée de pierre, c'est que les pierres étaient travaillées sur les lieux et ont laissé beaucoup d'attraits.
Le conseil délibérant arrête :
1) Que les anciens usages existeront pour le payement des pierres, tant pour les habitants de la commune que pour ceux des communes avoisinant.
2) Que le marché pour les écluses de Châteaulin ayant cessé d'avoir lieu, il reste qu'à percevoir le montant que l'entrepreneur doit pour les charrettées depuis plus d'un an.
3) Que le présent sera soumis à l'approbation de monsieur le sous-préfet à la diligence de monsieur le maire.
"

Les pierres étaient gratuites pour les habitants de la commune, mais payantes lorsqu'elles étaient utilisées pour les grands travaux régionaux, comme ici pour la construction des écluses du canal de Nantes à Brest.

Par la suite une carrière, dite "de la montagne", va être louée par la commune par adjudication verbale. Ainsi le "deux juillet mil huit cent cinquante quatre, par suite de d'adjudication verbale, la carrière de la montagne a été adjugée à François Ruello, acceptant, par six ans consécutifs, moyennant un fermage annuel de soixante francs payable de trois mois à trois mois jusqu'à la fin du bail et ledit Ruello signe".

Quelques années plus tard, le 30 mai 1862, elle est adjugée aux deux frères Martin, François et Joseph, à la suite d'un vote favorable du conseil du 19 mai. Le contrat précise qu'ils jouiront d'une " contenance à peu près d'un hectare", et que le terrain "est divisée en deux lots par la route n°7 de Châteaulin à Douarnenez" : il ne peut s'agir que des 2 carrières situées près de Kerjacob. Le bail est fixé à 300 francs pour trois ans, puis 100 francs payables d'année en année. Les fermiers paieront le loyer d'avance, mais ils se réservent le droit de résilier d'année en année si toutefois la pierre  était refusée par la direction du chemin de fer. C'est l'époque de la construction de la ligne Quimper-Châteaulin, inaugurée en 1864.

Un autre bail sera passé lors de la construction de la ligne de chemin de fer entre Guengat et Douarnenez. Après avoir refusé une première proposition à 0,75 franc le mètre cube, le maire négociera un contrat plus avantageux, approuvé par le conseil municipal du 20 novembre 1883 :

"Le conseil municipal de la commune de Locronan saisi comme ci-dessus appelé à donner son approbation au marché passé entre Mr le Maire et Mr Desmas entrepreneur des maisons de garde et des édifices des gares de Douarnenez et de Guengat, marché par lequel le Sr Desmas prend dans la carrière de Locronan les pierres qui lui sont nécessaires à raison de 1,75 franc le mètre cube approuve le marché ainsi conclu et autorise en même temps le maire à vendre au même entrepreneur les pierres déjà extraites à raison de vingt francs la mètre cube. Et ont signés les membres présents".

D'autre part, dans sa séance de 28 février 1922, le conseil municipal donne un avis favorable pour vendre, à Jean Cadiou, un terrain communal situé en face de sa maison à Kerjacob, considérant que ce n'est " qu'un tas de déblais provenant d'une ancienne carrière d'où est sorti le viaduc de Châteaulin", inauguré en 1907.

                Ces pierres ont aussi servi à la construction des maisons du bourg, et ceci jusqu'aux années qui ont suivi la seconde guerre mondiale. Leur exploitation à laissé de nombreuses traces dans la montagne de Locronan, comme celles des carrières exploitées par Guillaume Hémon en haut de la rue Saint Maurice, et par Jean-Louis le Duff et Jean Cadiou à Kerjacob et en bordure de route de Châteaulin.

Une autre, plus haut dans la montagne, le "Poul Gassis", se trouvait à droite du sentier rural numéro 15 dit "chemin des carrières", qui relie l'ancienne route de Quimper au "chemin rural du centre", allant du cimetière à la montagne. Remplie d'eau, elle servait de piscine aux enfants de la commune durant les années 1940. Beaucoup d'entre eux y ont appris à nager, dans les endroits de faible profondeur. Devenus plus grands, ils n'hésiteront pas à plonger du haut de la falaise, entre deux siestes sur le vaste espace herbeux de l'entrée. Des courses pédestres étaient organisées sur les sentiers voisins. Tout se passait dans une joyeuse ambiance, qui faisait oublier un moment l'occupation du bourg par les Allemands. La mer était pourtant proche, mais sans moyen de communication, comment s'y rendre ? Ils devront attendre la paix et la bicyclette pour "occuper" la plage de Kervel, alors toute entière à eux.

Maison Gassis

La Maison Gassis, en arrière-plan à droite

Ces carrières étaient mises en location par la municipalité, qui interdisait de nouvelles ouvertures. Ainsi, le 4 février 1877, "le conseil municipal, statuant sur la demande du sieur Morvan, tendant à obtenir un bail à loyer de trois ans d'une carrière de la commune nommée Mengleu ar Bretton. Considérant que cette carrière précédemment affermée à Morvan Germain pour 3 ans au prix de 13 francs par an est abandonnée depuis et que personne n'a demandé à l'affermer, il y a lieu de tenir compte de l'ancienne demande qui ait été faite d'affermer ladite carrière ainsi que de l'offre du sieur Morvan Guillaume de payer la somme annuelle de 26 francs par an prix plus élevé que le précédent.
Le conseil prie Mr le préfet d'autoriser le maire à présenter un bail de 3 ans de gré à gré et sans adjudication avec le sieur Morvan Guillaume aux clauses et conditions que le maire jugera utiles en plus des conditions de l'ancien bail
".

Dans les recensements des années 1860-1880, Germain Morvan se déclare maçon et son frère Guillaume maître-carrier.

Cette activité va être marquée en 1905 par la grève des carriers. Le droit de grève s'était installé en France par plusieurs lois votées après celles de 1865. Des publications ministérielles rapportent les nombreux mouvements sur le terrain du début du XXème siècle, dans les "Statistiques des grèves et des recours à la conciliation et à l'arbitrage", en application de la loi du 27 décembre 1892. En 1905, le Finistère figure parmi ceux ayant eu le plus de grévistes, au nombre de 14 492, derrière la Seine (32 782) et la Haute-Vienne (14 492). La grève des ouvriers du bâtiment et de diverses professions rassemble 173 établissements à Pont-l'Abbé et 140 à Quimper. A Locronan, ce sont les ouvriers des carrières qui cessent le travail du 18 au 22 avril, selon le rapport suivant, qui dresse le tableau des revendications et des résultats obtenus2 :

Grève des carriers de Locronan et Plonévez-Porzay (18-22 avril).

Demandes : augmentation de salaire ; suppression du travail aux pièces ; journée de dix heures.-- Recours des ouvriers au juge de paix le 20 avril.-- Réunion du comité le 22.-- Conciliation.--Transaction.

Les 94 ouvriers occupés par les 11 maîtres carriers de Locronan et Plonévez-Porzay (Finistère), réclamant la journée de dix heures au lieu de douze, la suppression du travail à la tache et des salaires de 3 fr. 25 à 4 francs au lieu de 2 fr. 75 à 3 fr. 75 pour les 45 tailleurs de pierre ; 2 fr. 25 au lieu de 2 francs pour les 10 fendeurs ; 2 francs pour les 39 manœuvres, au lieu de 1 fr. 50, se mirent en grève le 18 avril et adressèrent un recours au juge de paix de Châteaulin le 20. Un comité se réunit le 22 ; l'accord s'établit aux conditions suivantes :

1° Salaire minimum des manœuvres, 2 francs par jour ;
2° Salaire minimum des fendeurs, 2 fr. 25 par jour ;
3° Salaire des tailleurs de pierres, 3 fr. 25 à 3 fr. 75 ;
4° Le tailleur de pierres travaillant au quartier recevra 75 centimes par quartier au lieu de 60 centimes qu'il avait auparavant, et les pierres devront lui être livrées "buchées" ; les autres travaux pièces bénéficieront d'une augmentation proportionnelle ;
5° La journée de travail maximum sera de 11 heures. Elle pourra être divisée en demi-journée et en quart de jour. Une réunion de trois heures, même prise dans des journées différentes, constitue un quart de jour ;
6° Aucun ouvrier ayant moins de deux ans d'apprentissage ne pourra être considéré comme tailleur de pierres en titre et en avoir les avantages ;
7° Les patrons s'engagent devant témoins à ne livrer, ni à la ville, ni à la campagne, de la pierre brute destinée à être taillée par d'autres ouvriers que par les tailleurs de pierres ;
8° Les fendeurs et les manœuvres, en dehors des dimanches et des jours de fêtes, pourront disposer de deux jours par mois et de six jours pendant le mois d'août, consécutifs ou séparés ; ils préviendront les patrons ;
9° Les patrons s'engagent à ne faire aucune différence de traitement entre les ouvriers appartenant ou non à un syndicat ;
10° La paie se fera le premier samedi de chaque mois.
11° Les présentes dispositions entreront en vigueur à la date du 20 mai prochain (1905) ;
12° Aucun ouvrier ne sera renvoyé pour fait de grève.

La reprise du travail eu lieu partiellement le jour même, et partout le lundi 24.

Sur place3, les évènements sont relatés par un rapport de gendarmerie, et celui du commissaire spécial en mission Rouquier, envoyé du préfet3. Les tailleurs de pierre et manœuvres se réunissent le soir du 17 avril pour présenter leurs revendications. Mais seulement quatre patrons de carrières sur onze sont présents, et aucun accord ne peut être conclu. Le lendemain, "les sieurs Mavic de Locronan, Le Pape de Pont-L'Abbé et plusieurs autres ouvriers cessaient le travail et étaient immédiatement suivis par la totalité des manœuvres fendeurs et tailleurs de pierres au nombre de environ". Ils font appel au syndicat ouvrier de Douarnenez, dont le délégué, Poquet, "s'emploie tout d'abord à syndiquer les ouvriers de Locronan et des environs". Ce syndicat va réunir la quasi-totalité des ouvriers et aura Sébastien Mavic comme secrétaire général. Rouquier le décrit comme "un ouvrier intelligent, très supérieur à ses camarades, animé d'un esprit très conciliant, qui a fait preuve au cours des pourparlers de beaucoup de bon sens et de beaucoup de cœur et d'humanité. Son portait de Le Pape est beaucoup moins flatteur : "Le Pape, au contraire, est un alcoolique, un homme très violent et trop exagéré même pour être écouté par des gens chez lesquels j'ai remarqué un esprit sérieux, réfléchi et défiant à l'égard surtout de ceux qui se montrent trop exubérant".

Nous n'avons pas d'autres renseignements sur Le Pape, mais nous savons que Sébastien Mavic était lui-aussi de Pont-L'abbé. Il se marie en 1868 avec Marie Jeanne Pichavan, de Stang ar Ras en Plogonnec, où le couple s'installe. Sébastien y est recensé en 1876 comme tailleur de pierres, mais les années suivantes il le sera à Locronan, où il demeure rue du Four.

Les négociations avec les patrons vont reprendre, et aboutir à un "contrat primitif" devant être régularisé devant le juge de paix de Châteaulin. Mais le syndicat demande que tous les patrons soient présents pour signer. Ce sont "des très modestes patrons, dont la plupart, ouvriers eux-mêmes, travaillent dans leurs propres carrières", et dont l'activité est très peu rémunératrice. Les deux plus importants sont Morvan et Birou. Alain Birou résidait au village de Ty-Rouz, et y exploitait la carrière du même nom. Pour accélérer les discussions, les grévistes vont "essayer d'empêcher le chargement des voitures de pierres, carrières Ty-Rousse". Mais "l'arrivée de deux gendarmes suffira pour assurer la liberté du travail", et le reste de la journée sera très calme.

Le deuxième patron cité était probablement Guillaume Morvan, époux d'Alexine Kernaléguen, résidant sur la place de Locronan. Il est dit maître carrier lors des recensements de 1872 et 1876, tailleur de pierre et maçon par la suite. Mais nous savons ne pas quelle était sa carrière.

Les 94 ouvriers des carrières sont classés en trois catégories, manœuvres, fendeurs et tailleurs de pierres, ces derniers étant les mieux payés. Nous avons recherché ces professions sur les registres de recensement des deux communes en 1906. A Locronan nous avons compté trois carriers et 31 tailleurs de pierres ; mais ni les maîtres-carriers, ni les manœuvres ne sont mentionnés. Nous remarquons une certaine stabilité par rapport à 1901 (7 carriers et 22 tailleurs de pierres) et 1911 (3 carriers et 27 tailleurs de pierres).

A Plonévez-Porzay on ne fait aucune distinction, tous les ouvriers sont appelés carriers en 1906 ; nous en avons trouvé 20, qui résident dans les villages proches des carrières : Parc-ar-Valis, Kerislay et Menez-Kerislay, Rosarguen, le Mez et la Croix du Mez, Ty-Rous, Ty-Lozach.

Le total pour l'année 1906 est de 54 ouvriers pour les deux communes, nettement inférieur aux 94 grévistes de 1905. Mais certains étaient peut-être aussi des cultivateurs, et les manœuvres, non mentionnés, étaient probablement classés parmi les journaliers.

Les dernières carrières encore actives après la seconde guerre mondiale étaient situées sur la portion du territoire annexé à la commune en 1929. Elles étaient exploitées par Jean Meingan près du Mez et par Pierre Cosmao en face de Kerislay Le processus d'exploitation consistait à détacher de gros blocs de la falaise par des "coups de mines". L'explosif était placé dans plusieurs trous creusés dans la roche, et la mise à feu se faisait après qu'une sirène ait averti de son imminence. Une fois débitées par les fendeurs, les tailleurs de pierres terminaient le travail.

Le charroi des pierres vers les chantiers de construction s'est longtemps fait au moyen de charrettes, qu'il fallait tirer par plusieurs chevaux, et ceci même après la seconde guerre mondiale. Cela devait poser beaucoup de difficultés, pour les plus grosses d'entre elles. Ainsi l'abbé Pouchous nous apprend qu'en 1774, lors de travaux sur l'église de Plonévez-Porzay, "Jean le Quéau, de Lanzent, transporta dans sa voiture une pierre longue de 4 mètres, ayant un mètre de largeur sur une épaisseur de 35 centimètres." Soit 1,40 m3, près de 4 tonnes.

Un article du journal Ouest-France fait le point sur la carrière du Mez, l'une des deux qui étaient encore en exploitation au début des années 1960 :

"Le visiteur qui passe à Locronan est vite impressionné par l'élégance de l'église et des maisons à l'allure de monuments historiques. Tous ces édifices doivent la grâce de leur architecture au granit extrait des carrières toutes proches. D'une manière générale, l'ensemble des habitations du Porzay a fait un ample usage de ce matériau.

Après la grande guerre, cinq carrières étaient exploitées sur la commune donnant du travail à une cinquantaine d'ouvriers. Au fil des années, le ciment et le béton concurrencèrent le granit, et les uns après les autres, les chantiers fermèrent leurs portes. A ce jour, seules deux carrières conservent une petite activité.

La taille des pierres exige un long apprentissage, et M. Meingan, qui travaille au Mez, se souvient bien de ses débuts en 1921, alors qu'il n'était âgé que de 14 ans. Il se spécialisa dans le polissage et eut l'occasion d'apporter la dernière main aux motifs architecturaux qui ornent de nombreux édifices publics à Quimper et Châteaulin. On lui doit notamment les colonnettes qui soutiennent le balcon de l'hôtel de ville du chef-lieu.

L'actuelle crise du logement a provisoirement condamné le granit, mais on reviendra à cette pierre noble par excellence".

A cet époque, la carrière fournissait encore les pierres pour quelques maisons individuelles. Mais les sculpteurs et tailleurs de pierre travaillaient aussi pour des marchés particuliers, comme celui des pierres tombales, ainsi que le montre le cliché de Jean Meingan et de ses ouvriers posant près d'une de leurs œuvres (actuellement au cimetière de Landrévarzec).

Pierre tombale sculptée par Jean Meingan (à gauche) et ses ouvriers. Carrière du Mez, vers 1960.

Pierre tombale sculptée par Jean Meingan (à gauche) et ses ouvriers.
Carrière du Mez, vers 1960.

Actuellement toutes les carrières granitiques de Locronan, et la quasi-totalité de celles de Bretagne, sont fermées. Elles n'ont pas résisté aux importations venant de Chine. Lors des opérations de rénovations effectuées par les monuments historiques, il en résulte de grandes difficultés pour trouver le 'bon granit", ayant le grain et la coloration adaptés au bâtiment à restaurer.

Notes

1 Arch. Municipales de Locronan, Registres de délibérations du conseil municipal, 1826-1938.
2 Statiques des grèves et des recours à la conciliation et à l'arbitrage survenus pendant l'année 1905, Imprimerie nationale, Paris 1906, pp493-4.
3 Arch. Dép. Finistère, 10 M 38, Grève des ouvriers des carrières de Locronan et Plonévez-Porzay en 1905.