La lucarne du toit porte la date de 1693, ce qui fait de cette maison l'une des plus anciennes de Locronan. Mais elle n'a pas été classée comme celles de la grande place. Au XXème elle sera occupée par la famille de Guillaume Hémon, maire de Locronan de 1945 à 1947, après en avoir été le premier adjoint depuis 1904.
En 1808 elle fait partie de l'ilot N°365. La veuve Grandmoul possède les deux lots les plus au sud, et les deux jardins N° 372 et 371bis situés à l'arrière, vers l'est. Sur le nouveau cadastre de 1847, ces numéros deviennent les 67, 65 et 66.
Cette veuve était Marie Renée Guédès, qui avait épousé Jean Grandmoul à Locronan en 1779. Le couple était fabriquant et marchand de toiles à voiles. Nous avons vu par ailleurs que sous la Révolution, ils avaient été poursuivis en mars 1794, "pour avoir rescellé des pièces de toiles à l’effet de les dérober à la circulation en contravention à la loi du 26 Juillet 1793 l’an 2 de la République contre les accapareurs ". Jean Grandmoul décède en 1801 et son épouse en 1812.
Le couple ne possédait à l'origine que la maison N°67. Selon un acte du 12 thermidor an 8 (31.07.1800)1, la maison voisine (N°65) est vendue à "Jean Grandmoul et Marie Guedez, par Jeanne Conan et Maurice Saliou son fils. Jeanne Conan, veuve de Jean Saliou, est propriétaire d’une moitié de maison et d’un jardin derrière au levant, et son fils Maurice du quart, donnant du midi sur la maison et jardin occupée actuellement par ledit Grandmoul l’autre quart appartenant à Jean Saliou [son autre fils] volontaire au service de la République".
Le dernier quart de la maison sera vendu par Jean Saliou fils à Marie Grandmoul le 2 ventôse an 11 (21.02.1803)2, qui venait de perdre son époux en 1801 :
"Jean Salliou, militaire, vend à Marie Guedez, veuve Jean Grammoul, le quart d’une maison et jardin au levant d’icelle située rue des Charettes, lequel quart de maison et jardin lui est provenu de la succession de son père deffunt … ledit quart de maison et jardin en dépendant donnant du levant un courtil appartenant à laditte Guédez, du midy sur maison de demeure laditte Guédez, et du couchant sur la rue des Charettes, et du nord sur maison appartenant à Guillaume Hascoet, de la Boixière en Plogonnec".
Jean Saliou, mari de Jeanne Conan, était fils de Mathias Saliou, sergent, et de Marie Renée Tromeur. Ce couple est recensé rue des Charettes sur la registre de capitation de 1742, où il est taxé pour 15 sols.
Nous n'avons pas trouvé dans quelles conditions le couple Grandmoul avait acquis sa première maison, qui avait appartenu au début du XVIIIème siècle à Pierre Sommier et son épouse Marie Bihan, marchand de fil. Ce couple, marié à Locronan en 1683, a eu 10 enfants. Le mari décède le 15 décembre 1711. Un seul des enfants, François, se marie. Il épouse Jeanne Piriou en 1715, mais décède en 1719 sans avoir eu d'enfant. Après le décès de sa veuve en 1737, sa succession est déclarée vacante. D'abord acquise par Marc Maignan, marchand de toiles, elle reviendra finalement à Ollivier Le Calloch, gouverneur de l'hôpital de la Motte, selon le contrat d'acquet du 29 avril 17423 :
"furent présents Marc Maignan marchand de toile demeurant au Boys de la Motte paroisse de Saint Télo, évêché de Saint Brieuc, d'une part, Ollivier le Calloch et Corentine Barbier sa femme, de son mari elle le requérant bien et duement authorisée, demeurants à la Motte de Monsieur de Névet, paroisse de Plogonnec, évêché de Quimper, d'autre part, lequeldit Maignan après nous avoir affirmé qu'il lui appartient les héritages et biens de deffunt François Sommier consistant en une maison, jardin et courtil à herbe derrière ladite maison au levant, située en la rue des Charettes dudit Locornan, relevant du proche fief dudit prieuré, qu'il n'a vendu engagé n'y alliéné à personne quelconque, actuellement possédés à titre de pure et simple ferme par Vincent Guezennec dudit Locornan, a par le présant avec bonne et due garantie à la coutume vandu ceddé et transporté purement et simplement auxdits Calloch et femme laditte maison ouvrante au couchant sur laditte rue des Charettes, jardin et courtil à herbe derrière pour et en faveur de la somme de deux cents dix livres à valloir à laquelle lesdits Calloch et femme ont présentement payés aux espèces en cours de ce jour la somme de trente livres audit Maignan ainsi qu'il le reconnait et le surplus qui est celle de 180 livres lesdits Calloch et femme promettent s'obligent de payer audit Marc Maignan le premier aoust prochain venant, sous obligation solidaire de tous leurs biens en général meubles et immeubles présants et à venir etc.".
La prise de possession4, concernant "une maison sittuée en la rue des Charettes ouvrant du levant sur un jardin et courtil derrière du couchant sur la rue des Charettes" et "le jardin et courtil derrière donnant au levant sur le chemin qui descens de Carron ar Gueor au Stivel, actuellement possédé à titre de simple ferme par Louis Tromeur et Vincent Guezennec", aura lieu le cinq mai suivant. Ces fermiers étaient tous les deux artisans tisserands.
Les comptes de fabrique5 de l'église Saint-Ronan mentionnent en 1717, que "la veuve de Pierre Sommier, dessus la maison des Gueguennou en la rue des Charettes en acquit de feu maistre Jean Moreau sieur de Kermalero pour sa fondation et par luy acquit d’Ollivier le Quiniou à cette condition paye à laditte fabrice la somme de 3 livres" somme payée par Olivier Quiniou jusqu'en 1709, ensuite par la veuve Pierre Sommier. On peut donc s'interroger sur les précédents propriétaires, les Guéguennou, et ensuite Jean Moreau, puis Ollivier Quiniou.
Pierre Sommier habitait sans doute ailleurs au début du XVIIIème siècle, car dans les comptes de 1703-1704, on note que "dessus la maison de Bernard Samson", il "paye 43 livres, y joint la ferme de Parc ar Ruil", et que "le comptable se charge de recevoir la somme de 5 livres dudit Sommier pour Parc an Roux". Un contrat du 18 septembre 1710 va transférer la rente de cette maison au couple Alain Youenou-Marie Samson. C'est probablement à cette époque qu'il a acquis celle de la maison Guéguennou, juste avant son décès en 1711. Olivier Quiniou, époux de Louise Chalin, est qualifié de marchand tisserand dans un acte de baptème de 1711. Est-ce lui qui a rénové la maison en 1693 ?
Remarquons cependant que le propriétaire de la rente d'une maison n'y habitait pas forcément. Dans le registre de capitation de 1718, Olivier Quiniou et son fils, localisés "sur la place", payent deux livres et 10 sols, alors que Marie Bihan et son fils François Sommier demeurent rue Moal et payent trois livres.
Comme il était d'usage à l'époque pour les plus riches, Marie Bihan va établir une fondation au moment du décès de son fils François, au profit de l'église Saint-Ronan, qui sera rachetée plus tard par le sieur Penhoat. Elle rapportera 6 livres par an à la fabrique. Ainsi, en 1733, "dessus les héritages appartenants à Marie Le Bihan, veuve de Pierre Sommier, est deu de rente pour fondation de ladite Bihan, à la ditte église parroissiale de Locronan six livres par les héritiers de ladite Bihan, suivant contrat de fondation du 6 septembre 1719, à présent au sieur Penhoat, procureur fiscal de Crozon qui paye les dites six livres", et en 1788, le comptable "se charge de six livres dues par les héritiers de feux sieur et dame de Penhoat en acquis du Sieur et dame Gueguenou, sur maison en la rue des Charettes pour payer la fondation de Marie Bihan et de Pierre Sommier, suivant contrat du 6 septembre 1719 au rapport de Moreau".
Marie-Renée Guédès, veuve Grandmoul, décède le 16 octobre 1812. La maison N°65 échoit à sa fille Jeanne, d'après le cadastre de 1847, et sera démolie en 1867. Sa voisine N°67, au sud, sera revendue puisque le propriétaire en 1847 est Guillaume Hémon, avec ses frères et sœurs. En 1859 elle appartient à Yves Favennec avec ses frères et beaux-frères, dont Guillaume Hémon, époux de Marie Anne Favennec. Ce dernier était le grand-père d'un autre Guillaume Hémon, adjoint au maire de Locronan auprès de Charles Daniélou de 1912 à 1944, puis maire de 1944 à 1947.
Notes
1 Arch. Dép. Finistère, 4 E 36 54, Vente consentie par Jeanne Conan et Maurice Saliou à Jean Grandmoul et Marie Guédès, 1800
2 Arch. Dép. Finistère, 4 E 68 3, Vente d'un quart de maison par Jean Saliou, canonnier à Lorient, à Marie Guédès, veuve Jean Grandmoul, 1802.
3 Arch. Dép. Finistère, 4 E 38 3, Contrat de vente consenti par Marc Maignan à Ollivier Calloch et femme, 1742
4 Arch. Dép. Finistère, 4 E 38 3, Prise de possession pour Ollivier Calloch et femme.
5 Arch. Diocésaines de Quimper, Locronan, série AAA 7, Cahiers de comptes de la fabrique de l'église Saint Ronan.