Locronan, Cité des tisserands

 

Blasons des tisserands de Bretagne

Blasons des tisserands de Bretagne

La Bretagne a été jusqu'à la Révolution, un pays de production et de commerce des toiles. La carte ci-contre, qui représente les blasons des corporations de tisserands recensés par d'Hozier en 1696, donne une idée de la localisation de cette industrie. A l'extrême-ouest, elle se concentrait surtout autour de Morlaix et de Quimper. Dans la région quimpéroise, elle était établie autour de Locronan, à l'époque Saint-Ronan des Bois, et le patron des tisserands était saint Ronan, représenté sur le blason de la corporation.

Lorsque l'on consulte les anciens dictionnaires de commerce, on trouve dans celui de Jacques Savary1 une rubrique "Locrenan", rédigée vers 1716 :

 "Nom que l'on donne à une sorte de grosse toile de chanvre écru, qui tire son nom du lieu où elle se fabrique en basse Bretagne, appellé Locrenan.

Cette espèce de toile s'achète à la pièce qui contient trente aunes de long sur deux tiers de large mesure de Paris. On s'en sert pour faire des voiles pour les grandes et petites barques ou chaloupes qui vont à Plaisance pour la pêche à la morue. [Port de Terre-Neuve créé vers1650].

Les Anglais en tire assez considérablement en tems de paix. Il faut remarquer que Espagnols et les Bayonnais, qui en consomment aussy beaucoup, leur donnent ordinairement le nom de Toiles d'Olonnes, quoiqu'il ne s'en fabrique point en ce lieu du Poitou."

On trouve une confirmation du commerce avec l'Angleterre dans les dictionnaires anglais qui, comme le "Dictionary of Traded Goods and Commodities", comportent souvent une rubrique "Lockram" dédiée aux toiles de Locronan, l'origine du mot remontant au XIII ème siècle :

"Lockram : A textile, named after Locronan, a village in Brittany, where it was originally made. It was a linen cloth of variable qualities, used to made both wearing apparel and house hold linen".

Avant de se spécialiser dans la fabrication de voiles, Locronan était donc un centre toilier "généraliste" où l'on travaillait le lin et le chanvre. Les toiles de lin, le lockram anglais, servaient à faire des vêtements et du linge (chemises, mouchoirs de tête, draps, nappes etc..) ; celles de chanvre, destinées à la fabrication de voiles, arrivaient en Angleterre au XV ème siècle sous le nom de "poldavis", sur des barques partant du port de Pouldavid.

Ces articles étaient exportés dans de nombreux pays européens, où ils sont mentionnés dans des documents tels que livres de comptes, testaments, ou oeuvres littéraires. Ainsi en 1607, William Shakespeare fait dire, non sans ironie, à Brutus dans "Corolian" :

"While she chats him : the kitchen malkin pin her richest lockram 'bout her reechy neck" (pendant qu'elle cause de lui, la souillon de cuisine épingle son plus riche fichu (lockram) autour de son cou enfumé).

Dans son testament2 rédigé en 1518, Nicolas Coatalem, riche marchand de Morlaix, reconnaît devoir à Richard Septmès, anglais, de nombreuses pièces de "Locrenan", et en 1530, un autre marchand breton en vend plusieurs pièces en Espagne à Cadix et San Lucas d'après son livre de comptes.

Les archives de Locronan contiennent d'autres indications. En 1550 le prieur de Locronan avoue un devoir de coutume de deux deniers "dessus chacune braye à lin ou à chanvre" et de quatre deniers "dessus chacun estal à drappier par chacune foire, leur baillant à chacun d'eulx une gaule merche de la merche dudit prieuré à mesurer les draps que les drapiers sont tenus de prendre et mesurer les draps avec icelle gaulle esdites foires". Le Prieur percevait aussi "la dixme des gros fruits de la paroisse de Locronan à la pouvoir lever ou faire lever à la dixième gerbe de tous les bleds, scavoir froment, seigle, avoine, pilatte et lin..".

Les plantes textiles étaient cultivées dans la campagne environnante. Au bas de Locronan, on dénombre sur le cadastre napoléonien de 1847 sept parcelles appellées "foennec plancou lin", ou prés à lin. La plupart des fermes possédaient leur "liors canab" qui était un jardin pour cultiver le chanvre, et un "oguen", ou routoir, pour le rouir.

Le fil était ensuite obtenu par les femmes, "assises auprès du feu, dévidant et filant" comme disait Ronsard. Le tissage se faisait surtout à Locronan, mais beaucoup d'exploitations possédaient aussi un métier à tisser, dans une petite maison appellée "Ty Stern", la maison du cadre.

Notes

1 Jacques SAVARY de BRUSLONS, Dictionnaire Universel du Commerce, Locronan, Paris, Estienne, 1741, T3, p182.
2 Bulletin  Soc. Arch. du Finistère, "Jean et Nicolas Coatanlem, 1886, pp273-274.