Maison 81 – « Le Treillis Vert »

La maison numérotée 81 ne fait pas partie du classement de 1924, car elle récente : le linteau de la porte indiquait la date de 1902, jusqu'à une rénovation  de la façade vers 2020, qui l'a transformée en 1802. Cette version est forcément erronée, puisque toutes ces façades ont été détruites lors de la rectification de la route N°63 en 1882.

Les façades rectifiées de la rue des Charettes

Les façades rectifiées de la rue des Charettes

Percée de la route N° 1,1882.

Rectification 1882
Arch. Dép. Finistère

La traversée de Locronan par la route N° 63 a été modifiée entre 1875 et 1882. Après la démolition de la maison 171 pour permettre l'arrivée face à l'église, le bloc N° 81 a été partiellement détruit en 1881 pour élargir et aligner la sortie nord-est. La première maison du midi de la rue des Charettes a été entièrement reconstruite, mais pour les deux suivantes, seules les façades ont été refaites. 

Les contrats d'expropriation stipulaient que les matériaux de démolition restaient au propriétaire, mais que celui-ci devait laisser place nette. Il pouvait les conserver pour une reconstruction partielle, ou les céder à un tiers. Nous avons vu que la maison 81 n'a pas été refaite tout de suite puisqu'elle porte la date de 1902. Ses belles  pierres seront transportées à la ferme de Kerbleon-Vihan alors en Plonevez-Porzay, où elles serviront à l'édification d'un bâtiment daté de 1882 qui sert maintenant de grange. On y voit une belle cheminée semblable à celles de la place, et un linteau de porte avec une inscription en latin, difficilement déchiffrable. Il est toutefois possible d'y lire QUENQUIS, nom d'un ancien propriétaire décèdé au début du XVIIème siècle, époux de Gilette le Borgne. En outre, une vieille sculpture en pierre, placée sur le faîtage d'un hangar, comportant une croix horizontale (pour les quatre directions ?) et deux têtes de chevaux, pourrait être caractéristique d'un relais de poste.  

En 1847 le lot 81 est celui de Alain Kernaleguen, époux de Marie Elizabeth Moreau ; il occupe une surface totale de 309 m² avec la cour et les dépendances. C'était déjà le propriétaire sur le cadastre de 1808, où il apparait dans l'ilot 380 pour une surface de 510 m². Pendant tout le XIXème siècle, la maison est appelée "Le Treillis Vert", comme au siècle précédent.

Avant la Révolution, il y avait plusieurs maison sur cette surface. L'une était celle d'Ollivier Moreau, le père de Marie Elisabeth, une autre appartenait à Alain Chapalain, comme le montre plusieurs actes notariés.

1.Maison de Alain Chapalain1 : Dans un aveu du 12.08.1783 au prieur de Locronan, Corentine le Guillou veuve de Allain Chapalain, décrit  "une maison sise en cette ville de Locronan donnant du couchant sur la place, du nord sur maison à Ollivier Moreau du midi sur la maison à la veuve de François Chapalain et du levant sur maison audit Ollivier Moreau, ladite maison couverte d’ardoises contenant cinquante quatre pieds de long, seize de haut et douze de franc.."

Cette maison s’intercalle entre celle de Ollivier Moreau, également dans le bloc 81, et celle de François Chapalain qui est le numéro 82 ; il y avait deux maisons « Chapalain » voisines. Elle donne sur la place par une façade étoite de douze pieds (environ quatre mètres).

Selon cet acte, "lesquels droits sont echu et advenu à la ditte Corentine Guillou de la succession de Marie Cloarec sa mère". C’était en réalité sa belle mère, puisque Alain Chapalain était le fils de Jean et de Marie Cloarec. Jean Cloarec le père de Marie était « hôte » et René son grand-père « tixier ». Jean Chapalain le père de Alain était maréchal ferrant et avait son commerce de l’autre coté de la place. 

2.Maison des Moreau2 : Au nord-est de cette maison se trouve celle de François Moreau et de sa femme Elisabeth Frenay. Cette position est confirmée dans un aveu de leurs enfants Ollivier et Margueritte Sauveur veuve de Sébastien Moreau du 30.05.1783 où ils avouent tenir sous le prieur de Locronan "une maison couverte d’ardoises où ils demeurent, donnant au couchant sur la grande place dudit Locronan, du midi sur une maison aux Chapalains, d’orient sur une venelle qui conduit à l’écurie des héritiers des Fays, et du nord sur maison desdits héritiers, ayant de long à deux longères et un pignon trente huit pieds, de haut dix neuf et de franc vingt.

                une écurie joignant ladite maison au levant ayant de long à une longère et deux pignons trente neuf pieds, de hauteur quatorze et de franc trente, donnant du levant sur l’auditoire, du midi sur Leur an Lautrou, et du nord sur la rue des Charettes.

                une petite cour concentrée entre ladite maison et l’écurie contenant sous fonds dix cordes.

sur lesquelles maison écurie et cour est due annuellement de cheffrente une geline et demie.

Autre maison couverte d’ardoises au levant de la  précédente avec sa cour et une petite crèche couverte d’ardoises donnant du levant sur l’auditoire du midi sur Leur an Autrou du couchant sur la précédente et du nord sur la rue des Charettes, ayant laditte maison de long à deux longères et deux pignons une corde six pieds et demi et haut huit pieds et de franc treize, laditte écurie ayant à une longère cinq pieds de haut huit de long et quatre de franc, la cour contenand sous fond dix pieds…

etc..

Et finalement une maison couverte d’ardoises située en la ville de Locronan donnant du midi sur la grande place, du levant sur la rue conduisant à Saint Eutrope, d’occident sur maison au sieur Chardon, et du nord sur [en blanc] contenant de long trente deux pieds de haut vingt quatre et de franc treize.

Tous lesquels droits et héritages sont échus et advenus aux avouants de la succession de François Moreau leur père et beau-père fors laditte dernière maison qu’ils ont acquise de la dame veuve Guillier sieur du Marnay par contract au raport de Gueguenou notaire royal daté controlé et insinué les vingt trois et vingt quatre mars mil sept quarante deux".

Un inventaire en présence des enfants sera fait chez François Moreau le 23.04.17833.

Sur le cadastre de 1847 la maison 81 est détenue par Alain Kernaleguen, époux de Marie Elisabeth Moreau, elle-même fille de Ollivier Moreau et Marie Mancel. Elle est dénommée « Le Treillis Vert », enseigne qui apparaissait déjà en 1775.

Sophie Moreau, fille de Daniel Moreau et de Geneviève Defrance possèdent les maisons 184 au coin de la rue Moal et de la place, 185 et 187.

En 1870 la maison est rachetée par Jean Marie Moreau, marié à Marie Anne Hascoet de Plogonnec, sans liens de parenté avec les précédents propriétaires. 

3.Maison Gourio, héritiers de Fays4 : l'une des maisons précédentes était probablement la maison Gourio, décrite dans un aveu de 1745 : "L’an mil sept cent quarante et cincq, ce jour quinziesme mars après midy devant nous notaires de la jurisdiction du prieuré de Locronan des Bois avec soumission à la première a personnellement comparue demoiselle Catherine de Gourio faisant tant pour elle que pour les demoiselles ses sœurs ; pour demoiselle Jacquette de Launay veuve du sieur de Kersivet et pour le sieur de Launay son frère, et pour demoiselle Janne Josephe le  Bozec de Kervigant en privé et et tutrice de ses frères et sœurs, demeurante en la ville de Locronan  paroisse de Saint Ronan des Bois ; laquelledite demoiselle de Gourio en privé et en ladite qualité connoist et confesse tenir proffiter à titre et sous Monsieur  Maistre René Rannou conseiller du Roy, lieutenant particulier de l’admirauté de Quimper, mary et  et procuteur des droits de dame Marie Guesdon son espouse, absent pour lequel nous stipulons et acceptant le présent au cas qu’il l’ait pour agréable, et non autrement, sçavoir  :

Une maison à deux estages couverte d’ardoises avec issues et dépendances, scituée en ladite ville de Locronan avec son escurie d’attache à son costé d’oriant, donnant d’oriant sur maison à Jean Conan, du midy sur maison à François Moreau et femme, d’occident sur la grande place de Locronan, et du nord sur la rue des Charettes.

Laquelle maison est eschue à ladite demoiselle Gourio et aux demoiselles ses sœurs de deffunte dame Marie Trobert dame de Gourio leur mère, et à ladite demoiselle veuve de Kersivet et au sieur de Launay son frère de la succession de deffunte dame Janne de Fays dame de Kerlouenan leur mère, et à laditte dame de Kervegant le Bozec et à ses frère et sœur de celle de deffunte demoiselle Elisabeth de Fays leur mère

De dessus laquelle maison escurie issues et dépendance laditte demoiselle avouante connoist et confesse devoir annuellement audit sieur Rannou et à la dame son espouse à chaque terme de saint Michel en septembre la somme de vingt et une livres et non franchissable ; et à la chapelle Saint Eutrope audit Locronan douze sols de rente annuelle aussy payable à chacque Saint Michel en septembre.

Au payement de laquelledite rente de censive de vingt et une livres par an au terme susdit, ladite demoiselle de Gourio en privé et aux qualités qu’elle agit s’oblige solidairement avec ses consorts et cohéritiers sous les obligations requises de droit de coutume et d’ordonnance et par expres sur le gage spécial de ladite maison escurie et dépendances, outre payer ladite rente de douze sols à la chapelle de Saint Eutrope sans diminution de celle de vingt et une livres….".

Ces héritages proviennent du couple Olivier de Fay, procureur et notaire, marié à Marie le Breton : ce sont les grands-parents des Bozec, de Launay et Marie Trobert.

La famille de Gourio était l’une des rares familles nobles ayant résidé à Locronan. Guillaume, le beau père de Marie Trobert, qui était écuyer, seigneur de Refuge, eut de nombreux enfants dont deux d’entre eux, Laurent, écuyer Sr de Kervaziou marié à Bonaventure de Fays et René, écuyer Sr de Villeneuve marié à Marie Trobert. Ils y étaient probablement venus pour faire le commerce des toiles à voiles. Bonnaventure de Fays, en association avec le sieur Pommier traite un gros contrat de toiles pour Brest en 1697. Sa sœur Jeanne épouse René de Launay, capitaine et maire de Brest de 1670 à 1672. 

Dans les cahiers de compte de la fabrique Saint-Eutrope, une des rubriques est relatif à la maison de "feu Gillette le Borgne, au bas de la place vers la rue des Charettes", sur laquelle est due douze sols. Cette somme est payée par les héritiers de Fays jusqu'en 1756, et ensuite par François Moreau. Il s'agit donc de la maison Gourio que nous venons de décrire, sur laquelle est également due cette rente de 12 sols. Comme elle donne du couchant sur la place de Locronan, ce pourrait être aussi la première maison de l'aveu Moreau de 1783.

Gilette le Borgne exerçait la profession d'hôtesse à Locronan au début du XVIème  siècle, selon une procédure de 1619-1620 où elle fait partie des "hostes et taverniers"  en conflit avec le marguillier de l'église Saint-Ronan au sujet du paiement du billot. Un acte de 16205 énumère dix couples de débitants de vin, parmi lesquels Gilette Le Borigne, ou Le Borgne, veuve de feu Anthoine Le Quenquis. Sa fille Françoise, épouse de Jean le Breton, est probablement la mère de Marie le Breton, femme d'Ollivier de Fays.

Notes
1 Arch. Dep. Finistère, 4 E 38 93, Aveu de Corentine Le Guillou, veuve Alain Chapalain, 1783.
2 Arch. Dep. Finistère, 4 E 38 92, Aveu des enfants de François Moreau, 1783.
3 Arch. Dep. Finistère,  4 E 36 39, Inventaire de la succession de François Moreau, 1785.
4 Arch. Dep. Finistère, 4 E 36 8, Déclaration de la demoiselle Catherine de Gourio, 1745.
5 Arch. Diocésaines de Quimper, Locronan, série AAA 7 , Pocédure à propos des devoirs de vins et billots, 1619 et 1620.