Maison 161

 Le 20 Juin 1926, Louis Gouyette consent au classement de sa maison "située au haut de la place de Locronan, maison portant la date de 1686 et inscrite sous le numéro 161 de la section I du plan cadastral de la commune de Locronan". Il "prend, en conséquence, l'engagement de ne détruire ni démolir l'état des lieux ou leur aspect, sauf autorisation spéciale de la commission départementale des Sites et Monuments naturels de caractère artistique ou pittoresque et approbation de M. le Ministre de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts".

Avant 1933

Haut de la place avant 1934

Le coin Sud-Ouest de la place, avant 1933

Le coin Sud-Ouest de la place, avant 1933
Photo As. Arch. Le Doaré

 

 

 

 

 

 

 

 

Elle devient quelques années plus tard la propriété de son neveu Stanislas Gueguen,  qui la détruit en 1933, après avoir vainement attendu pendant plus d'un an l'autorisation du Ministre, dans le but de la reconstruire. Après l'intervention du maire M. Danielou, le permis de reconstruction lui sera accordé, selon les plans dressés par l'architecte ordinaire des Monuments Historiques M. Chabal. 

 

La nouvelle maison devra observer des règles strictes : 

Maison 161 après reconstruction

Maison 161 après reconstruction

La façade sur la place sera entièrement en pierres de taille de granit. La corniche en pierres sera du même profil que celles des maisons voisines classées.La couverture sera en ardoises rugueuses, taillées à la main et fixées avec des clous.Les pierres anciennes provenant de la maison démolie seront employées dans toute la mesure du possible dans la nouvelle construction.

En particulier, le linteau  au dessus de la porte portant l’inscription "Louis Chalin 1686 " a été réutilisé ; il se trouvait auparavant audessus de la fenêtre supérieure du pignon.

Louis Chalin (1638-1705) épouse successivement Françoise Clery en 1670, puis Marie Malvennec après 1672, qui lui donnera de nombreux enfants. Il est qualifié dans les actes de maître cuisinier, hôte et débitant de vin : il devait tenir une auberge dans sa maison du haut de la place. A ce titre, son nom, ou celui de son épouse, figure sur la liste des taverniers, hôtes ou hôtesses qui doivent reverser à la fabrique les recettes du billot (impôt sur les boissons vendues). On lit par exemple dans le compte de fabrique de 1689 :

"Ledit comptable se charge d’avoir receu de damoiselle Anne de Faix, Catherine Tancre, Guillaume Boger, Yves Chappalain et Louis Chalain les devoirs et billots des vins qu’ils ont débité le quartier de Juillet suivant les appurements la somme de cent quatre vingt neuf livres dix sols quatre deniers".

En 1550 cette maison de la rue Creis en Kaer était celle de Loys Calvez, puisqu'on lit dans l'aveu du prieur : "Dessus l’ostel du Claustre et l’ostel qui fut a Scolan quy fait le coign de la rue an goffuel que dempuix fut a Guillaume Calvez et sa femme a presant par Loys Calvez quatre deniers".

Elle reviendra à sa fille Marie Jacquette Chalin, qui épouse Yves Jannou, homme de chambre et greffier du marquisat de Nevet, qui meurt en 1714, puis Jean Tanguy, greffier lui aussi. En 1735 elle est achetée par Guillaume Nicolas de Leissègues, procureur fiscal du prieuré de Locronan, les trois quart de Marie Jacquette et son mari pour 450 livres, et le quart restant des enfants Jannou du premier mariage pour 150 livres, soit 600 livres au total1. Mais la maison est en piteux état, et de Leissègues fait établir une état des réparations nécessaires le 15 mars 1736. Le devis s'élève à 180 livres pour les travaux de "massonage, et d'autres sont indispensables sur les menuiseries et la couverture2. Un marché de 90 livres sera passé trois jours plus tard pour les travaux sur "le pignon donnant du nord, donnant sur la place et la croix de Locronan", de la maison "ou demeurent actuellement Jean Tanguy et femme"3. Cet acte nous apprend donc qu'il y avait au XVIIIéme siècle une croix en haut de la place, ce que confirme un autre acte relatif à une maison voisine.

Sous la Révolution, elle fait partie de la succession de son fils Guillaume Louis de Leissègues, décédé en 1787. Cette succession ne sera règlée que tardivement4, mais dès 1792 la maison est louée à l'administration par le maire Germain de Leissègues, pour y établir la première gendarmerie de Locronan5.

En 1798, à la fin du bail, la maison est rendue aux de Leissègues6 qui la louent à Pierre Petit (en réalité Pierre Klein, alsacien, qui avait francisé son nom) pour y aménager une auberge7. Cependant la succession Guillaume Louis de Leissègues prend fin avec le partage de ses biens et la maison, attribuée à Jean Louis de Leissègues, prêtre émigré, devient bien national8.  

Entre temps les administrateurs avaient voulu implanter la gendarmerie dans la maison du prieur près de l'église. Mais la municipalité de Locronan fit valoir que ce choix était inadapté pour loger toutes les familles des gendarmes9 et proposa d’utiliser à nouveau l’immeuble précédent, ce qui fut fait par un arrêté du 15 mars 179910 :

 "Séance du 25 ventose an 7 ; vu notre arrêté du 22 du courant, qui déclare Jean-Louis Leissegues Rozaven émigré et porte que ses biens et ceux de ses ascendants seront sue le champ sequestrés. Vu la lettre de la municipalité de Locronan en date du 18 nivose dernier portant que la maison du prieuré désignée pour la caserne par notre arrêté du 15 nivose dernier n’est pas propre à cet usage. Considérant que la maison de l’émigré Jean Louis Leissegues Rozaven devenue propriété nationale réunit les conditions exigées par la lettre du ministre de la guerre en date du 25 messidor dernier relative au casernement de la gendarmerie Le commissaire du directoire exécutif entendu, l’administration centrale arrête que laditte maison sera prise pour servir de caserne à la gendarmerie et charge la gendarmerie de Locronan de faire procéder au devis estimatif des réparations à faire à cette maison suivant les dispositions de notre arrêté du 15 nivose dernier et de fixer les indemnités à accorder au locataire qui sera tenu de déloger. Expédition du présent arrêté sera transmise à la municipalité de Locronan pour qu’il ait son exécution."

Pierre Petit, "tenu de déloger", quitta les lieux ; les gendarmes occuperont la maison jusqu'en 1816.

La maison deviendra ensuite propriété de Guillaume Guéguen (1797-1887), successivement fabriquant et marchand de toile, puis épicier. Elle appartient toujours à ses descendants.

Sur les anciennes cartes postales du haut de la place, on voit un emplacement vide entre les maisons 161 et 162, aujourd'hui comblé lors de la reconstruction de la maison en 1934. Jusqu'à la Révolution, il était occupé par une maison appartenant à Michel Boulic, selon une pétition du citoyen Leissègues Rozaven de 179611 :

Entre deux maisons qui m’appartiennent au haut de la place de Locronan, il existe une vieille mazière dépendant de la succession vaccante de deffunt Michel Boulic. Il semble que le mur costier du levant de cette maison est mytoyen avec avec celui du couchant de ma maison. Les réparations doivent donc être faites à frais communs par moi et le propriétaire de cette mazière c’est aujourd’huy la république qui en est propriétaire. Mais l’objet ne vaut pas la peine d’être réparé, il serait sans doute plus utile que l’on fit démolir en entier les lates et de la charpente qui menacent d’écraser les passants vous jugez dans votre sagesse quel sera le parti que vous devez prendre mais je demande expressément ou que vous contribuez avec moi aux réparations de mon mur ou que faisant démolir les restes inutiles de cette mazière vous m’abandonniez l’entière propriété du mur. Locronan 16 ventose an 5".

Cette maison lui  sera vendue le 8 fructidor de l’an 5 (25.08.1797) par la République12.

Elle sera occupée plus tard par Claude le Quéau et Marie Corentine Le Lons qui, lors des naissances de leurs enfants, déclarent habiter parfois rue Saint-Maurice, et d'autres fois sur la Place. En 1829, dans une lettre au préfet, Claude le Quéau expose13 "qu'il a sur la place du dit Locronan une vieille maison dont le premier étage qui est en bois, s'avance sur la place de trois pieds, Le Quéau faisant rétablir en neuf le pignon qui fait face à la place, a l'intention de rentrer ledit pignon à l'alignement des autres maisons, d'y faire au rez de chaussée une porte et une boutique, au premier étage deux fenêtres, à la flèche du pignon une fenêtre Ne voulant pas avoir plus tard de désagrément, le Quéau prie l'administration des Ponts et Chaussées de lui faire savoir si dans le plan de sa maison, il n'y a rien de contraire au plan de la ville ou de la voirie". On reconnait la description du pignon des premières cartes postales, qui a remplacé un mur "à encorbellement" vers 1830, avant de disparaître lui-même lors de la construction de la maison actuelle.

 

Notes
1 Arch.Dep.Finistère, 4 E 36 2, Appropriement de la maison acquise des Jannou et Tanguy par Guillaume Nicolas de Leissegues, 1736.
2 Arch.Dep.Finistère, 4 E 36 2, Etat de la maison acquise des créanciers de Tanguy par Guillaume Nicolas de Leissegues, 1736.
3 Arch.Dep.Finistère, 4 E 36 2, Marché pour la maison acquise des créanciers de Tanguy par Guillaume Nicolas de Leissegues, avec Paul et François Le Gano, 1736.
4 Arch.Dep.Finistère, 1 Q 507, Procès verbal de prisage des biens provenant de la succession de feu Guillaume Louis Leissègues Rozaven, 1799.
5 Arch.Dep.Finistère, 14 L 80, Location pour servir de gendarmerie, "d'une écurie, chambre et grenier sise en ladite rue de Saint Maurice, joignant au midy le Lion d'Or…", 1792.
6 Arch.Dep.Finistère, 14 L 80, Etat des citoyens auxquels il est du des loyers de casernes et des indemnités pour dégradations, 1798.
7 Arch.Dep.Finistère, 14 L 80, Bail par Germain de Leissegues à Jean Pierre Petit, " d'une maison située sur la place de Locronan donnant du levant sur la rue ditte Saint Maurice", 1798.
8 Arch.Dep.Finistère, 1 Q 507, Partage en cinq lotties égales des biens provenant de la succession de Guillaume Louis Leissègues Rozaven, 1799.
9 Arch.Dep.Finistère, 14 L 80, Remarques de l’administration du canton de Locronan à l’administration centrale du département sur les inconvénients du choix de la maison du prieur comme  gendarmerie, 1799.
10 Arch.Dep.Finistère, 14 L 80, Arrêté établissant la maison Rozaven comme caserne de gendarmerie à Locronan, 1799.
11 Arch. Dep. Finistère, 1 Q 507,  Pétition de Leissegues Rozaven au sujet d'une ruine appartenant à la République, située entre deux de ses maisons, 1797.
12 Arch. Dep. Finistère, 1 Q 688,  Vente au citoyen Leissegues  Rozaven d'une mazière de maison située au haut de la place de Locronan, 1797.
13 Arch.Dep;Finistère, 2 S, Lettre au Préfet, 1829.