Les guerres de la Ligue

Locronan, le 16/11/1594.

Il existe à Locronan, dans le mur du fond du cimetière, une petite niche surmontée d'un linteau sur lequel on lit la date du 16/11/1594, avec au centre de cette date une croix dressée sur un cœur renversé. La partie centrale de cette inscription peut aussi se lire IHS, entre le I6 et le 94. IHS est le monogramme de Jésus, "JEZUZ HOR SALVER" en breton.

Locronan - 1594 La date nous renvoie aux guerres de la Ligue en Bretagne1, entre les ligueurs, catholiques intransigeants menés par le duc de Mercœur et soutenus par les Espagnols avec à leur tête Don Juan d'Aguila, et les royalistes d'Henri IV, catholiques modérés et protestants aidés par les Anglais. Après la défaite de ses troupes à Craon en 1792, le Roi nomme le Maréchal d'Aumont en Bretagne, pour mener la lutte contre les ligueurs. Il va prendre Morlaix le 21 septembre 1594, Quimper le 13 octobre suivant, avant d'enlever le fort de Crozon le 17 novembre2.

Depuis 1593, les troupes du duc de Mercœur et des Espagnols sillonnaient la pointe de Bretagne, en vivant de rapine la plupart du temps. Celles de ses alliés Anne de Sanxay ou La Fontenelle y feront de nombreux massacres.

Selon les comptes des miseurs de la ville de Quimper3, le 28 janvier 1594, le conseil délibéra d'envoyer un habitant à Locronan, vers La Maignane qui s'y trouvait, "pour lui remontrer les viollances et ravaiges que faisoient aulcuns soldats de ses troupes sur le plat pays et envyrons de la ville de Quimper, et le pryer d'y remédier et empescher telles pilleryes".

La Maignane accepta de se retirer moyennant une allocation de 1335 livres.
A la fin du mois de Mars 1594, les habitants de Quimper envoient une députation à Locronan, pour y rencontrer Don Juan d'Aguila, avec mission "de remontrer les oppressions et ruyne que ladite armée espagnole apportoit au pays cyrcinvoisin et tascher de les faire déloger".

Un autre article de ces comptes note que le 7 mai, le miseur paya 20 sous "à un messaiger envoyé du commandement desdicts bourgeois et habitants, à Locornan, porter lettre au sieur de La Fontenelle y estant lors". Mais cette lettre restera sans doute sans effet, puisqu'il est écrit plus tard : "Au sieur de Kerdaniel, soldat des gardes de feu Monseigneur le duc de Mercœur, venu à Locornan faire desloger les troupes du sieur de la Fontenelle y estant, la somme de six escus vallant 18 livres".

Toutes les composantes des troupes de la Ligue sont donc passées à Locronan en ce début de l'année 1594, et la plupart pour y faire des ravages. La prise de Quimper par les armées royales a peut-être été apprise avec satisfaction. Au mois de novembre elles vont mettre le siège sur le fort de Crozon, tenu par les Espagnols. Sont-elles passées par Locronan ? Les occupants du fort espèrent les renforts d'un autre groupe de soldats Espagnols. Selon le Chanoine Moreau, c'est leur arrivée à Locronan le 16 novembre qui décide d'Aumont à fixer au lendemain un assaut qui se terminera par la prise du fort. Les renforts n'étaient encore qu'à Plomodiern. La date portée par le linteau pourrait commémorer la prise du fort de Crozon et la libération de Locronan de ses occupants.
A Locronan ce sont les comptes de la fabrique Saint-Ronan4 qui nous fournissent des informations supplémentaires. Ils sont rendus tous les ans du mois de juin d'une année au même mois de l'année suivante. En 1593-94, on note dans la liste des dépenses :

A Mahé Quyniou pour accoustrer la tombe où les Espagnols furent mis.                         V s
Audit Quyniou pour une ronde à un des clochers                                                             V s X d

et en 1594-95 :
Plus d'avoyr payé à deux anglois pour despand durant [?] à locrenan                          XXIII l XV s
Plus payé par consantement parrochiens pour sauvegarde a l'eglise treize escus montant la somme  XXXII l X s
Plus avoyr payé par consantement parrochiens à Monsieur Soudreac [?] de Brest       XXV l
Plus payé à Jan Jacobi pour visite la tombe à l'église                                                    VIII s IIII d
Plus payé pour accouté la tombe à l'église la somme de soixante soultz                       LX s
Plus payé Antoine Cadiou pour metre de terre à la tombe                                              XII s VI d
Plus payé pour accoute la tombe a pre la grande porte                                                  IIII s II d

On constate que dans le premier exercice on enterre des ligueurs Espagnols, alors que dans le second on rétribue des Anglais du parti du roi, et on reçoit Monsieur Sourdreac, qui était gouverneur de Brest et sous les ordres du maréchal d'Aumont.
En outre quatre articles sont relatifs à la tombe de l'église, située près de la grande porte. Il s'agit probablement de l'endroit qualifié de reliquaire sur le plan de 1780, étant donné le très grand nombre de morts de l'année : le compte de la fabrique recense 119 "poullages" de "grands et majeurs", et 51 d'enfants. Une vraie hécatombe, pour une population de la ville qui ne devait pas excéder les 5 ou 600 habitants. Le poullage était un droit que percevait la fabrique pour inhumer dans l'église, cinq sols pour les majeurs et deux sols six deniers pour les enfants. Toutes ces morts ne peuvent sans doute pas être attribuées aux exactions des combattants. La plupart ont été causées par une épidémie propagée dans toute la région par les Espagnols.

Après la prise du fort de Crozon, selon le Chanoine Moreau, "le sieur maréchal d'Aumont, revenant de Roscanvel avec une armée victorieuse se rendit à Quimper et aux environs, tant Français qu'Anglais, où s'engendra incontinent parmi eux et puis le reste du peuple une maladie inconnue, mais contagieuse, qui ne produisait aucune marque extérieure ni aux malades ni aux morts, et emportait son homme en vingt-heures, et s'il passait le troisième jour en réchappait".

Si nous avons une explication pour la date, que penser du cœur renversé, alors que ce monogramme IHS était aussi associé à un cœur droit comme on peut le voir sur une pierre tombale du village voisin de Plogonnec ?

 

IHS et cœur droit

Pierre tombale, avec le monogramme IHS et un cœur droit, Plogonnec

Le site web de Gignac-en-Quercy en signale plusieurs à Gignac, en émettant l'hypothèse qu'il était utilisé par les protestants pendant les guerres de religion. A Locronan, les deux principales seigneuries environnantes étaient celles de Claude de Nevet et de Jacques de Guengat, tous les deux protestants. Peut-être est-ce un début d'interprétation ?

Notons enfin qu'en 17425, le fabrique a payé "à Hémery Marzin deux journées à dix sols par jour, pour faire une fosse dans le cimetière de Saint Ronan pour enterrer les ossements du reliquaire, vingt sols". L'abandon du reliquaire de l'église date donc probablement de cette année-à.

Liste des Locronanais morts en 1594.

 

Extrait du registre des morts de l'année 1594

Extrait du registre des morts de l'année 1594

Grands et majeursBescont JehanGall Even, enf.Tranoill Hervé
Quiniou MarieMoisan EstienneGras YvoMingam Jehan
Violant MarieCongar NouelBourch MargariteMr Pratemeno
Hascoet MarieTranoill HervéUrgoez MarieCalvez Jehan
Timbaut MarieQuiniou MatheauGuenolle MargariteNicolas
Kernilis MargariteGuillerm NouelHemeri Bestran, enf.Calvez Jehan
Myngam JanCoguen AlanStephan GilesConnan Jehan
Gourmelen MarquisGuegouz MarieCostiou MarieQuéré Jaques
Calvez janneCadiou EstienneGuillerm Vincent, enf.Lotrec Loys
Poryell YvonAryes GuillouSalaun RenéTremervern Juquel
Menn ChristofleCoguen Alain, enf.Gueguen HeleneDagorn Noel
Talec janMingam MarieGall EvenSalaun Hervé
Mingam JanneGoff FrançoiseFur MargariteQuinquis Antoine
Gousarch HervéMahalonMarchGoff LeveneDagorn Loys
Dagorn JehanQueau MarieConnan Jehan, enf.Poryel Yvon
Gall janneCadiou René, enf.Stephan Pierres et fe.Mingam Pierre
Gueguen MarieMe Tangui RenéDagorn NoelDagorn Noel
Cornic JehanMe Goff MartinQuentrec MarieDagorn Loys
sa femmeQuere JaquesAvanan YvoChatal Yvon
Salaun ChristofleUrgoez RenéTanguy YvoGall le jeune Even
Quemelvern Marg.Guevell HeleneDeroycet? BeatriceDenyel René
Hamon Betrian?Me Hascoet René, vic.Guillerm JannePoygeant jehan
Salaun Christofle, enf.Connan JehanGuosarch JanneCourt Eutrope
Rouzault GuillouKeruni? Kerneru?Me Periou GuildasStephan Loys
Blas Yvon, enf.Gall Pierressa femmeGuillerm Nouall
Jain Herve, femmePavec MargariteBrerniel Pierre, fem.Gueguen Jaques
Guillerm René, enf.Stephan JanneBideau YvoLeon Fiac
Kerhault LoyseMe Stephan ChristofleGren AlanPeriou Guildas
Dreau JanneJann MathiasDouguet Hervéme Noy Loys, un ?
Coguen Alan, enf.Lecun EstienneRanelle MarieBoutan Jehan
Stephan JehanDagorn Loys, femmeGall JehanGueguen Jaques
Guevell YvonHascoet estienneDyvanach JanneBorigne Guillerm
Aryers Guillou, fem.Brern Alan, femmeHemery BastianPencoat Guillerm
Douguet PhilibertRun Loyse f. UrgoezLagadou GuillouFerec Hervé, fem.
Kerdanne Hélène, VveNedelec Pierrede la Chermene HervéMe Toulguengat Loys
Me Jain Alan et frèrePitibon GuillermEnfants deBrelivet Estienne
Poigeant JehanUrgoez BetrianGoff Christofle, 2Me Calvez Prigent
Me Urgoez AlanUrgoez PierresGuenolle YvonKergoat Jehanne
Jann GuillouFerec HeleneSalaun ChristofleDanyelou Beatrice
Aries YvonConnan JanneConnan AlanBriant Alan
Aries Yvon, 2 enf.Guillerm GlaronGuevell HervéCornic Jehan
Chatal Yvonsa femmePeriou GildasLeon Christofle, fem.
Salaun Christofle, enf.Connan LoiseGuillerm René, 2Pitibon Margarite
Cadiou René, veuveCadiou RenéRain? Giles

 

Notes
1 Chanoine Moreau, Histoire de ce qui s'est passé en Bretagne pendant les guerres de la Ligue, et particulièrement dans le diocèse de Cornouailles, Come et Bonetbeau, Brest, 1836.
2 Dom Hyacinthe Morice, Mémoires pour de preuves à l'histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, Imp. Charles Osmont, Paris, 1746, p1624.
3 Commandant Faty, Compteurs des miseurs de la ville de Quimper, en fonction pendant les années 1594, 1595 et 1596, à l'époque de la Ligue en Bretagne, Bulletin Soc. Arch. du Finistère, 1885, p129.
4 Arch. Diocésaines de Quimper, Locronan, série AAA 7 , Comptes de Fabrique, 1593-5.
5 Arch. Diocésaines de Quimper, Locronan, série AAA 7 , Comptes de Fabrique, 1741-2.