Nom

DE SANCTI RONANI à LOCRONAN

 

Le voyageur qui arrive aujourd'hui dans notre commune est accueilli par une plaque signalétique qui indique son nom en français et en breton :

Il est admis que ce nom "français" traduit le breton "Loc Ronan", le "lieu de Ronan". Ronan est le saint patron du village, venu d'Irlande vers le VIIIème siècle pour vivre en ermite dans notre région. Nous connaissons sa Vita par un texte dont la plus ancienne version date probablement du début du XIIIème siècle. Elle sera par la suite reprise et adaptée par plusieurs auteurs, comme Albert le Grand au XVIIème siècle. Nous retiendrons de ces textes, qu'après avoir débarqué sur les côtes du Léon, Ronan se fixe tout d'abord à Saint Renan au nord de Brest, avant de venir à Locronan, où il installe son ermitage. Après avoir été lavé des accusations portées contre lui par Kében, il se retire à Hillion (où l'un de ses villages porte aujourd'hui le nom de Saint-René) au nord de la Bretagne, où il décède. Son corps sera placé sur une charrette tirée par deux bœufs, qui le ramèneront d'eux-mêmes à Locronan où il est inhumé.

La toponymie des noms de lieu dans le Porzay a été étudiée par Bernard Tanguy1 . Il y distingue trois paroisses primitives, celles dont les noms dérivent du latin plebe, ploe en breton ancien : Plomodiern (paroisse de saint Mahouarn), Ploëven (paroisse de saint Méen), Plonévez-Porzay. Les noms en loc n'apparaissent qu'après le Xème siècle, et Locronan aurait alors été créé au détriment de Plonévez-Porzay. Les toponymes en Loc auraient en outre un caractère sacré et seraient attachés à des lieux religieux (lieux saint, monastère).

Bernard Tanguy a recensé les noms pouvant être reliés à Saint Ronan : il en dénombre sept  en Lok et huit en Saint-, dont Saint-Renan traduit en breton par Lokournan, ce qui est attesté par le village voisin de Lokournan-vian de la commune de Plouarzel.
Il cite aussi plusieurs Saint-René, dont certains tirent leur origine de Saint Ronan, alors que d'autres sont à rattacher à l'évêque d'Angers.
Mais le toponyme Lokorn n'apparait pas dans sa recherche. 

Locronan dans les textes.

Les textes les plus anciens relatifs à Locronan, rédigés en latin, datent du début du douzième siècle. Ce sont ceux du cartulaire de l'abbaye bénédictine Sainte Croix de Quimperlé2. dont dépendait les terres de notre village, cité sous le nom de "Sancti Ronani". Un fac-similé de ce cartulaire a été publié en 2014 par Cyprien Henry, Joelle Quaghebeur et Bernard Tanguy, accompagné d'études sur plusieurs thèmes. On y trouve Locronan dans l'article "Cartula Sancti Ronani" qui relate le don à l'abbaye de Quimperlé par Alain Canhiart "de l'église Saint Ronan avec toutes les terres qui sont contenues à l'intérieur des limites de l'immunité du saint". Ceci pour le remercier de sa victoire dite de Guet-Ronan obtenue contre les troupes d'Alain de Rennes duc de Bretagne, après avoir sollicité l'aide de saint Ronan. L'acte est daté de 1031, mais il aurait antidaté, ayant probablement été ajouté au cartulaire au XIIème siècle. Il semble bien cependant qu'il existait déjà un sanctuaire à cette époque. Rappelons que des fouilles archéologiques menées par P. Guigon ont révélé l'existence d'un village carolingien du IXème siècle sur le site du Camp des Salles, situé à quelques hectomètres à l'est de l'église.

Un autre article "Haec est reddition de terris Sancti Ronani", le rentier du prieuré, énumère ses différents revenus.

En outre, dans leur étude du document, les auteurs notent que "le toponyme de Locronan apparait dans un acte du duc Conan III, rédigé en 1146", qui "énumère divers domaines cédés à l'abbaye Sainte-Croix de Quimperlé par la puissance publique, parmi eux Locum Sancti Ronani (Loc Ronan)"3, qui à cette date dépendait donc de cette abbaye.
Remarquons que "La vie de Saint Rumon", découverte en Cornouaille Britannique et datée elle aussi du XIIIème siécle est elle-même un condensé de celle de Saint Ronan. Saint Rumon (en breton, en latin sancti Romanus) et saint Ronan (en breton, en latin Sancti Ronanus) semblent pouvoir être la même personne. Mais les historiens croient plutôt qu'ils ne peuvent être confondus. Chacun d'eux possède ses lieux de culte dans notre région, Rumon est fêté le 30 août et Ronan le premier juin. Signalons aussi qu'en dehors de la Bretagne il existe un autre Saint Rumon, francisé aujourd'hui en Saint Romain, fêté lui aussi le premier juin, qui possède son église à Mazerolles près de
Poitiers.

Eglise Saint Romain, Mazerolles (86)

Dans les années qui suivent, nous connaissons surtout des documents écrits en français, comme les mandements du duc de Bretagne Jean V4 au XVème siècle où l'on écrit Saint Renan, ou plus souvent Saint Renan du Boys. Ainsi, un mandement du 27 décembre 1426 est pris pour confirmer les franchises accordées au prieuré :

Ces privilèges furent renouvelés en 1451 par Pierre II. Sur une copie de l'acte qui se trouve aux archives du prieuré, le nom est écrit "Saint Renan du Bois", mais aussi "Saint Ronan du Bois", "Locronan", ou encore "Locornan". Mais la date de ces copies n'est pas toujours mentionnée, et certains noms ont pu être actualisés.

Tous ces actes devaient être confirmés périodiquement, car les receveurs des différents impôts et taxes semblaient souvent les ignorer. En 1504, une enquête est menée à leur demande pour savoir si les engagements des responsables du prieuré étaient tenus. Son rapport est conservé dans les archives du prieuré5. Le rappel des devoirs du prieur, et des vicaires, chapelains, manants et habitants de Saint Renan du Bois est suivi des témoignages de plusieurs témoins âgés (50 ans et plus), ayant "hanté et fréquenté" l'église et le bourg. Le nom du saint y est orthographié 13 fois Renan, 2 fois René, mais jamais Ronan, qui n'apparaîtra qu'en 1559, alors que dans les aveux du prieur de 1550 et 1557 le scribe écrit Saint René du Boys.

Les registres de baptêmes des années 1575-1578 ont été conservés. Ils sont rédigés en latin, et le nom de l'église est écrit "Loco Ronani" : 

Le vicaire de l'église paroissiale de "loco ronani" baptise Anthonium fils de "Ronani Cadiou et Marie Mingam"

Est-ce la contraction de ce nom qui explique la forme "Locornan" utilisée plus tard dans certains documents, et la graphie "Lokorn" du XXème siècle, qui pourrait être une écriture "phonétique" du breton oral ?

 

Les cahiers de fabrique de la fin du XVIème siècle mentionnent tous l'église paroissiale de "Saint René du Boys". Dans la plus grande partie du XVIIème siècle, la plupart des actes portent aussi ce nom. Par exemple :

1619 : Différent entre Henry le Queinec, marguillier de l'église de "Sainct Renné du Boys", et les taverniers du bourg de "Sainct Renné du Bois" à propos du devoir "d'impôt et billot" sur les boissons. 

1627 : Bail des terres du Nouy, Sainct René du Boys.

1632-1633 : Comptes de fabrique, Sainct René du Boys.

1668 : Fondation du prieur Denis Rousseau, St René du Bois.

1653 : Denis Rousseau est dit prieur de Saint René du Bois, autrement Locrenan.

Mais lors de son aveu en 1680 il est dit prieur de Saint Ronan du Bois, autrement Locornan.

Les archives communales de Locronan6 possèdent les registres d'état civil depuis 1669. Leur étude montre une évolution assez rapide du nom en cette fin de XVIIème siècle.

1671 : Saint Renan du Bois et Saint Ronan du Bois, sont cités 46 et 40 fois.

1681 : Saint René du Bois, Saint Renan du Bois, Saint Renan, sont cités respectivement 8, 45 et 14 fois, mais Saint Ronan du Bois une seule fois. On voit aussi apparaître Locrenan (10 fois) et Locornan, une seule fois.

1691 : les références à l'église utilisent Saint Ronan du Bois (53 fois), ou Locronan (22 fois) et celles relatives au bourg presque toujours Locronan.

1701 : pour nommer l'église paroissiale on écrit Locronan (27 fois), Locronan Saint Ronan du Bois (24 fois), et parfois Locornan (4 fois). Pour citer le bourg on parle de Locronan (46 fois), ou Locornan (10 fois).

1711 : A quelques exceptions près, seul Locronan est utilisé, que ce soit pour nommer l'église paroissiale ou le bourg. 

Notons aussi qu'à la fin du XVIIème siècle, l'armorial général de Bretagne contient les blasons des prieurés de Saint-Renan et peut-être de Locronan7.

 

Par la suite, le bourg sera généralement appelé Locronan, en particulier lorsque l'on veut indiquer le lieu d'habitation d'une personne. Pour l'église diverses expressions sont utilisées : église Saint Ronan, église Saint Ronan du Bois, église de Locronan Saint Ronan du Bois, église paroissiale de Locronan. Les actes judiciaires sont passés devant la "juridiction du prieuré de Saint Ronan du Bois", ou encore de Locronan. 

Cartes anciennes

Plusieurs graphies se trouvent également sur les cartes anciennes de Bretagne. Un atlas édité par CoopBreizh en a rassemblé plusieurs dizaines8 de 1582 à 1800. La plus ancienne, dite d'Argentré, a été publiée à partir de 1582 et rééditée par la suite. Elle porte le nom de Locrenan, qui sera utilisé majoritairement par la plupart des éditeurs, 40 fois sur l'atlas de Coop Breizh. On trouve aussi près de 10 fois Locornan, et quelques écritures comme Locreneau, Locremant, Locreme ou encore Locarnan. Sur certaines cartes notre village est même positionné en deux endroits et sous deux noms différents. Quant à Saint René du Bois, il n'apparait que deux fois. Signalons enfin que plusieurs de ces cartes sont accessibles sur le site Gallica avec un grossissement qui facilite grandement la lecture.

Conclusion

Depuis le Sancti Ronani du texte latin du XIIIéme siècle, le nom de notre village a subi une longue évolution jusqu'à sa forme actuelle. C'est Saint Renan du Boys qui est utilisé dans les mandements des ducs de Bretagne au XVème siècle. Cette forme est choisie pour éviter la confusion avec la paroisse de Saint-Renan du Nord-Finistère, que l'on nomme aussi "Saint Renan ar Fank". A la fin du XVème siècle et dans la plus grande partie du suivant, on opte principalement pour Saint René du Bois, puis Saint Ronan du Bois à la fin du XVIIème siècle. La graphie Locronan sera définitivement adoptée au siècle suivant, pour désigner le bourg, l'église (église paroissiale de Locronan), ou la justice du prieuré (juridiction du prieuré de Locronan).

Mais notre étude n'a porté que sur l'évolution du nom dans des textes latins ou français. L'étude du nom celtique à partir des saints irlandais possibles candidats au titre de patron de l'église de Locronan est une affaire de spécialiste qui a été discutée dans l'ouvrage "Locronan et sa Région" de 1979, et plus récemment par Erwan Vallérie qui pose la question "Saint Ronan est-il bien l'éponyme primitif de Locronan ?" dans "Le Pouvoir et la Foi au Moyen-Age"9.

 Notes 

1 DILASSER Maurice, Locronan et sa région, Chapitre 4 par Bernard Tanguy, Paris, 1979.
2 Cartulaire de Sainte Croix de Quimperlé, Présenté et introduit par Cyprien HENRY, Joëlle QUAGHEBEUR et Bernard TANGUY, Presses Universitaires de Rennes, 2014.

3 GUILLOTEL Hubert, Actes des Ducs de Bretagnes, Presses Universitaires de Rennes, 2014.
4 Archives de Bretagne, Lettres et Mandements de Jean V, Tomes 4, 5, 6 et 7, Duc de Bretagne, Nantes 1890.
5 Archives diocésaines de Quimper : archives du prieuré, série AAA 7 / 1, 2, 3.
6 Arch. Municipales de Locronan, Registres de Baptêmes, Mariages, Sépultures.
7 Armorial général de Bretagne, volume 8, 1696.
8 Cartes anciennes de la Bretagne, 1582-1800, Coop Breizh, Spézet, 1999,
9 E. VALLERIE, Saint Ronan est-il bien l'éponyme primitif de Locronan ?, Le pouvoir et le foi au Moyen Age, Presses Universitaires de Rennes, 2010.