Origine et Parcours

Le prieuré de Locronan a été fondé au XIIIème siècle selon le cartulaire de l'abbaye Sainte Croix de Quimperlé. Aucun document n'indique que la troménie existait déjà à cette époque. Son nom breton, « ar Droveni », ou Tro-Minihy (tour de l'asile), suggère qu'à l'origine il s'agissait de faire le tour des terres de l'immunité du Saint. Ce qui était non seulement un acte de dévotion envers Ronan, mais aussi une façon de marquer sur le terrain les frontières du Minihy. Mais le cartulaire ne dit rien sur les limites de cette immunité et donc sur le parcours de la Troménie. Elles seront plus tard indiquées par des croix ; mais d'où venaient-elles ? Les travaux de Donatien Laurent1 tentent de les mettre en relation avec d'anciens cultes celtiques.

Les références à la Troménie sont nombreuses dans les archives du Prieuré2, et en particulier dans les quelques cahiers de comptes de la fabrique Saint Ronan qui ont été conservés. Les plus anciens datent de la fin du 16e siècle, dont ceux de 1587, 1593 et 1599, années de grande troménie, ou de jubilé comme on disait à l'époque. 

En 1587 le comptable a payé 20 sols "an vin le jour du jubilé pour comunyer es gens" et 2 sols 6 deniers "en farine pour faire le pain audit jubilé" ; en 1593 il touche 20 livres le jour de la "procession générale quel est faict acostumé de sept ans en sept ans" et en 1599 il reçoit "le second dimanche de Juillet la somme de 23 livres 15 sols" ; en 1593 il paye 12 sols 5 deniers " à Guillaume Dagorn et Jan Saliou pour faire le chemyn audit procession", et en 1599 25 sols "à ceulx qui fict le chemyn" ; en 1593 il donne 20 sols "aux prebstres et aux portants la croix et aultres armes faisant la procession générale", et en 1599 75 sols " le jour que fuct faict la procession généralle de Monsieur Saint René auxdits prebstres comprins ceulx qui porterent la croix et la banielle ". Il faut ajouter en 1599 les frais d'impression des "pardons".

Un procès-verbal de 1618 rapporte "que de 7 en 7 ans le second dimanche de Juillet il se faisait une procession générale à laquelle assistaient 8 ou 10 000 personnes", et ajoute "que de 7 ans en 7ans il se fait une procession par les habitants de ladite paroisse par certains chemins qui sont les fins et limites de ladite paroisse, laquelle procession a été faite en ladite année 1617".

La réalité d'une procession générale, le long des limites de la paroisse, de sept ans en sept ans est donc établie au début du 17e siècle ; on remarque en fait que cette procession a lieu tous les 6 ans : 1587, 1593, 1599...1617, en contradiction avec de l'expression "de 7 ans en 7 ans". C'est peut-être parce que le chiffre sept, contrairement au six, avait un pouvoir magique dans les sociétés anciennes, et souvent sous la forme d'une série de six plus un septième élément aux propriétés particulièrement fastes : comme le dimanche, jour du Seigneur et de repos, est le septième jour de la semaine, la grande troménie fête Saint Ronan, et commence la septième année après la dernière célébration.

Le parcours lui-même est structuré en 12 stations qui sont décrites dans l' "Ordo Perantiquus" du second 18e siècle, qui précise les prières et cantiques qui doivent être dites et chantés à chacune d'elles. On y apprend en outre que la procession générale peut-être faite dans des circonstances exceptionnelles, ce qui se produit en 1768 :

" en 1768 on fit une neuvaine à Saint Ronan à la prière des habitants de Locronan pour obtenir du beau temps. Elle commença le samedi 17 septembre et finit le dimanche 25 du même mois. On chanta tous les jours la grande messe à 9 heures dans la chapelle de Saint Ronan et les vêpres à 5 heures, ensuite procession des reliques autour de l'église et enfin le salut du Saint Sacrement parce que cette neuvaine concourut avec celle ordonnée pour la même fin par Monseigneur de Farcy de Cuillé lors évêque de Quimper, qui ordonna de donner la bénédiction pendant huit jours dans toutes les paroisses du diocèse. Et les deux dimanches on fit la procession avec les rites et cérémonie marqués cy dessus. On remarqua que pendant la dernière procession il s'éleva un vent violent du sud est qui dura trois jours et donna moyen de sauver assez de bled pour nourrir tout le pays." 

Voici les 12 stations telles quelles sont indiquées :

Station

1

2

3

4

5

6

1768

1e Croix

2e Croix

Rosancelin

Fontaine

Croix Troyout

Croix Omnes

1923

St Eutrope

Ecce Homo

St Germain

Ste Anne

Bonne Nouvelle

St Milliau

Station

7

8

9

10

11

12

1768

Croix Leustec

St Guénolé

Bourlann

Place ar c’horn

St Eloi

St Maurice

1923

St Jean

St Guénolé

St Ouen

St Ronan

St Theleau

St Maurice

 Entre ces stations la procession parcourt les chemins et les champs jalonnés de huttes en mémoire d'autres saints. Remarquons en outre qu'autrefois ces chemins frôlaient les fourches patibulaires de trois juridictions seigneuriales : celles de Lezarscoët à Rosancelin, celles du Plessis-Porzay à Plonévez-Porzay, et enfin celles de Nevet vers Plogonnec, où l'on suspendait les corps des condamnés pour l'édification des vivants. Celles de Nevet étaient situées après la dernière station, entre Kroas-Keben et la Gazek Ven, faisant de cet endroit le lieu symbolique du passage à la mort suivi de la renaissance : Parcours-périodicité

Certaines de ces stations dépendaient des fabriques des chapelles voisines, qui y recevaient les offrandes des pèlerins. Ainsi le comptable de Saint-Théleau note en 1667 " avoir reçu en offrande sur l'autel et en la chapelle qu'il fit auprès du bois de Bulliec le jour de la grande procession de Saint René appelée Trovenii, 62 livres 16 sols 4 deniers " : les huttes étaient bien construites le long du parcours au 17e siècle. Les comptes de l'église paroissiale de Plogonnec apportent aussi la confirmation de la présence des paroisses voisines : en 1635 et 1641 on paye 40 sols "à ceux qui portèrent la croix et la bannière en la procession générale de Saint René nommée vulgairement Tro an Menechy".  De même, Anne le Faou témoigne en 1689 que quelques années avant, son aïeul maternel nommé Nicolas, «… l’année qu’il avait été fabrique de l’église de Plonévez Porzay était en ladite qualité venu avec les armoiries de ladite paroisse audict Locronan pour assister à ladicte procession … ». Au début du 20e siècle plusieurs bannières portaient encore les armes de Bretagne.

parcours-bannière

Bannière avec les armes de Bretagne,du pape et de l'évêque

 

Outre les informations sur le parcours et la périodicité, les comptes de fabrique témoignent aussi du caractère festif des cérémonies. Il fallait réparer ou remplacer tout ce qui était usé, vitres, aubes ou nappes d’autel et décorer les « armes » que l’on portait à la procession. Ainsi en 1707 il faut « accomoder six grandes torches et luminaires pour la procession », « fourbir la grande croix et autres argentures avec du tripoly », laver la statue du saint avec du vinaigre et de l’huile, et acheter « trente aulnes de petit ruban pour mettre tant autour de la grande croix que celluy du brancquart pour porter les reliques ». On construit un nouveau brancard pour porter les reliques en 1713 ; on refait la dorure de la statue de Saint-Ronan et on achète cinq aunes de ruban pour orner la bannière en 1719.

 

 

La chapelle du Penity était l’objet de soins particuliers : en 1719 on commande « quinze aulnes trois quart de cottonade pour un dé au dessus de l’autel », « dix aulnes de ruban à raison  de cinq sols l’aulne pour garnir l’autel de St Ronan », des « cierges blancs pour ledit autel du Penity ».

On notera enfin qu’en 1719 on place un drapeau sur le haut du clocher. Il faut pour cela payer 5 livres pour acheter « sept aunes de toille à raison de vingt sols l’aulne pour faire un pavillon à mettre au haut de la tour de la Tromény », 30 sols « pour peindre le pavillon placé sur la tour », et 3 livres 10 sols pour « placer ledit pavillon sur le haut de la tour et l’oster ».

Pour sonner les cloches pendant la procession Mahé Quiniou reçoit 10 sols en 1593 et Yves le Guedez 3 livres en 1689. En 1707 le fabrique de Saint Eutrope paye 1 livre " pour une petite clochette à servir pour recevoir les offrandes de laditte chapelle ». Masseron écrit en 1923 que « la Troménie est le pardon des cloches, des grandes cloches qui s’ébranlent à minuit, des petites cloches que l’on secoue tout le temps [dans les chapelles qui jalonnent le circuit], et de la cloche de Monsieur Saint Ronan, cloche vénérable en son reliquaire, qui va être portée triomphalement autour du Minihy… ».

Tout ceci est conforme à ce qu’écrivait Albert le Grand en 1636 dans "La vie des Saints3 :

 "De sept ans en sept ans se fait la procession qu’ils apellent de Saint Ronan, le jour de sa feste, en laquelle on porte ses reliques sur un branquart à bras, richement paré, tout à l’entour de la montagne ; à laquelle procession se trouve, d’ordinaire, une grande affluance de peuple de tout le pays circonvoisin. "

Notes

1 LAURENT Donatien, La troménie de Locronan, Ar Men, 9, 1987, p17-39.
2 Archives diocésaines de Quimper, Archives du prieuré de Locronan, série AAA 7 / 1, 2, 3.
3 Vie des Saints de la Bretagne Armorique par Albert le Grand, 1636.