Justice

Les textes les plus anciens témoignent de la vocation judiciaire de Locronan : un mandement de Jean V daté de 1414 fait mention de la cour de "plègements pendants en la cour de Saint Renan du Bois"1, et dans un aveu de 15502 Danyel de Saint Alouarn, qui vient de remplacer son frère Hervé comme prieur, déclare qu’il

 "tient et advoue tenir dudict seigneur (le Roy), et sous sa court et juridiction de Chateaulin, justice haute, basse et moyenne, ayant justice, patibulaire et officiers pour servir sa court et jurisdiction, scavoir seneschal, lieutenant, procureur, greffier, sergents, sceaulx de contractz et actes".

On retrouve presque la même formulation dans la déclaration du prieur Denis Rousseau du 27.07.16803, qui avoue posséder  :

" …haute, basse, moyenne justice composés de sénéchal, lieutenant et procureur fiscal, greffier, procureurs, nottaires et sergents et qui s’exerce audit bourg de Saint Ronan y ayant prisons et patibulaires avec droits de sceaux de police de percevoir des esmoluments et devoirs de fief amorty… ".

Il y avait donc une  justice  à Locronan, s'exerçant dans un auditoire, avec prisons et  "patibulaires", et rendue par un nombreux personnel judiciaire. Mais où étaient situés ces lieux, en reste-t-il des vestiges, quels étaient les fonctions des différents officiers ?

Notons tout d'abord que la juridiction du prieuré n'était la seule à s'exercer à Locronan. La ville était au centre de terres appartenant à plusieurs autres seigneuries dont les justices étaient souvent localisées à Locronan. Les deux plus importantes étaient celles de Nevet au sud vers Plogonnec et de Lezhascoët vers Plonevez-Porzay au nord. Citons encore les seigneuries du Vieux-Chatel, de Kervent et Plessix-Porzay, de Tresseaul, de Moellien, du Rible, de Rosmadec. Ces juridictions dépendaient de la cour royale de Châteaulin, où les procès allaient en appel.

Il y en avait d'autres, comme celle de l’Amirauté4, dont les pouvoirs avaient été définis par deux édits de 1691. Sept sièges étaient établis en Bretagne dont un à Quimper ; son ressort s’étendait sur les côtes situées entre l’embouchure de l’Elorn à celle de la Laïta ; il comprenait, au civil comme au criminel,  "la mer territoriale et extra-territoriale, les rivières et le rivage de la mer jusqu’au point où remonte le plus grand flot de mars, les ports, les quais". Elle était compétente pour tout ce qui concerne la marine, les épaves, la levée des cadavres sur le rivage etc… Les appels de cette juridiction, allaient directement au parlement de Bretagne.

La manufacture de toiles avait  elle aussi sa propre juridiction.

Rien dans les textes ne permet de situer les endroits énumérés dans les aveux des prieurs. Mais il y avait au moins trois juridictions qui avaient des lieux d’exécution près de Locronan : celle de la baronnie de Nevet, qui avaient ses patibulaires au bord de la route menant à Quimper, près du lieu où se trouve actuellement une croix dite "Croas Keben", celle de la seigneurie de Leshascoet, qui avaient ses prisons et un "champ de la potence" près de la route qui conduit actuellement à Douarnenez., et celle du Plessix Porzay qui avait ses patibulaires près de Plonevez Porzay. Pouvaient-ils être utilisés par d’autres juridictions ?

 Auditoire et prison

Nous avons vu par ailleurs que l'auditoire et la prison étaient situés vers l'endroit où se trouve actuellement le magasin "Lysig". Il n'en reste aucun vestige.

Les patibulaires             

D’après l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert5, les "Fourches Patibulaires ou Gibet, sont des piliers au haut desquels il y a une pièce de bois posée en travers sur deux de ces piliers, à laquelle pièce de bois on attache les criminels qui sont condamnés à être pendus et étranglés, soit que l’exécution se fasse au gibet même, ou que l’exécution ayant été faite ailleurs, on apporte le corps du criminel pour l’attacher et l’y exposer à la vue des passants.

Ces fourches ou gibets sont toujours placés hors des villes bourgs et villages, ordinairement près de quelque grand chemin, et dans un lieu bien exposé à la vue, afin d’inspirer au peuple plus d’horreur du crime : c’est pourquoi ces fourches sont appellées la justice, pour dire qu’elles sont le signe extérieur d’une telle justice".

L’encyclopédie précise en outre que le nombre de piliers des patibulaires varie en fonction de la qualité du seigneur haut justicier : les simples seigneurs ne peuvent avoir que deux piliers, les châtelains en ont trois, les barons quatre et les comtes six ; et que lorsque ces fourches patibulaires sont tombées de vétusté ou autrement, elles doivent être rétablies dans l’an et jour de leur destruction ; passé ce temps il faut l’autorisation du Roy pour les reconstruire.

Si les aveux précédents du prieur de Locronan mentionnent l'existence des patibulaires, aucun acte ne permet de les situer : ils n'existaient sans doute plus aux 17e et 18e siècles. Pour exécuter les condamnés à mort on dressait une potence sur la grande place, comme il est indiqué dans une sentence de 1720. Mais les textes ont gardés la mémoire de ceux de trois seigneuries voisines, celles de Lezhascoët, de Nevet et du Plessis Porzay, qui devaient eux aussi être ruinés lorsque la révolution a abolie les justices seigneuriales le 4 août 1789.

  Seigneurie de Lezhascoet

La justice de Leshascouet est décrite par Jacques de Guergorlay dans un  aveu au roy du 19/11/16816. Il y déclare que "ses prédécesseurs seigneurs de Leshascoet sont en possession de près de trois siècles du droict de haulte, moyenne et basse justice sur toutes les terres maisons domaines fieffs sujects et vassaux, seigneurie de ligence prochaine, et arrières fieffs, et sur les sujects, fieffs de ramage de pronoste, préminences d’églises, et sur touts les autres héritages exprimés en la présente déclaration en elle fournye audict greffe de la réformation du domaine de Quimper, aux droicts de [paur], et d’establir pour l’exercice de ladite jurisdiction de Leshascouet, un sénéchal, bailliff, lieutenant, procureur fiscal et greffier, et des notaires, procureurs et sergents pour servir ladicte jurisdiction, laquelle de tout temps immémorial s’exerce en la ville de Saint René du Bois au jour de mardy quand il n’est pas feste gardée, et aux environs de laquelle ville de Locronan se voyent aujourd’hui les mazières et ruines des veilles prisons et cachot de la seigneurie de Leshascouet, et proches d’icelles veilles prisons aussy aux environs dudict Saint René du Bois est une garenne nommée la garenne de la potence cy devant employé en laquelle estoient élevés les pattibulaires de ladicte jurisdiction qui sont à présent ruinés depuis un long temps, ladicte garenne ayant toujours retenu le nom de la garenne de la potance, les juges de laquelle jurisdiction se font recevoir et installer en l’exercice d’icelle par messires les juges royaux de Chasteaulin, devant lesquels les appellations des sentences de ladicte jurisdiction se portent en mattière civille, sans jamais avoir esté lesdicts juges de Leshascouet reffuséz ny opposéz à l’exercice de ladicte jurisdiction par lesdicts juges royaux de Chasteaulin.".

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La garenne de la potence

 

 Le cadastre napoléonien de Plonevez-Porzay permet de les situer puisqu'on y relève à l'entrée de Locronan lorsque l’on vient de Douarnenez, un peu avant le manoir de Rosancelin, une parcelle (n° 640, cadastre 1851, section D2 de Moellien) nommée  "parc ar prisoncou", sur laquelle devaient s’élever les prisons de Leshascoet.

Seigneurie de Nevet

Le lieu où se dressaient ceux de Nevet est indiqué sur la carte de Cassini de la seconde moitié du 18e siècle par le symbole habituel peu après Locronan, sur la droite de la route qui va à Quimper. Cette position est confirmée par l’aveu fournit par Messire Jean de Nevet ,  chevallier seigneur baron de Nevet en 1644. On lit dans l'article 117 :

"Item une grande montagne montagne appelée vulgairement Kernevez ou la Villeneuve, sur le hault de laquelle, et au lieu le plus éminent, sont situés : les patibullaires à quatre piliers, et de pierre de taille de la juridiction de ladite baronnie, partye tombée par terre et ruinnée, pour leur antiquitté de structure, quand accident cy devant exprimé [ il s'agit des ravages causés par La Fontenelle pendant les guerres de la Ligue dans les années 1590] ; lesquels ledit seigneur n’a encore eu le temps de faire réparer et remettre en leur premier estat, icelle montagne montagne contenant environ neuf journeaux de terre froide donnant du levant sur le chemin dudit Quimper Corentin audit Locronan et ailleurs, et proche duquel chemin sont situés lesdits patibulaires et de tous autres endroits sur terres dudit seigneur dépendants du village de Kernevez ou la Villeneuve et d’icelles de Landibily le tout audit Plogonnec du revenu annuel de laquelle ne sera fait mention estant compris avec les autre terres dudit village de la Villeneuve et sous mesme ferme convenancière comme il sera cy après représenté".

Cet article montre que les patibulaires se trouvaient sur le haut d’une montagne appelée Menez Kernevez donnant du levant, donc à l’est sur le chemin de Locronan à Quimper, ce qui correspondant bien à la position indiquée sur la carte de Cassini, tout près de Croaz Keben. Sa hauteur sur les cartes actuelles est de 203 m.

D’autres références à ces patibulaires se retrouvent dans l’aveu de Nevet de 16828, à propos des terres du manoir noble de Bulliec appartenant à Michel Colomban le Rousseau chevallier seigneur de Diarnelés :

                article 6538 : un moulin à vent situé dans le parc ar justicou, contenant trois journeaux.

              article 6544 : une garenne joignant le parc ar justicou contenant dix journeaux

et plus loin , dans la rubrique décrivant le village de Kermahun :

             article 6622 : Une garenne nommée ar Gazec men proche les patibulaires de la seigneurie, six journeaux cinquante cinq corde.

Ces rubriques confirment la localisation des patibulaires près de la Gazec men, la Jument de pierre où les femmes venaient autrefois s’asseoir pour conjurer leur stérilité. On apprend en plus qu’il y avait à cet endroit un parc nommé parc ar justicou sur lequel s’élevait un moulin à vent, situé apparemment du coté du Manoir de Beuliec c’est dire de l’autre coté de la route qui mène à Quimper par rapport aux patibulaires.

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Enfin, dans un aveu de 1778  il est dit que les seigneurs de Nevet possédaient des fourches patibulaires dans la montagne de Kernevez depuis plus de 500 ans.

 

Fourches patibulaires de Nevet sur la carte de Cassini

Fourches patibulaires de Nevet sur la carte de Cassini

Cette localisation est confirmée par le cadastre napoléonien : on y trouve à cet endroit une parcelle nommée Goarem ar Veil. Curieusement les patibulaires n’étaient donc pas sur ce  parc ar justicou  : y-avait-il sur cette parcelle une construction en rapport avec la justice ? 

Il n’existe actuellement aucun vestige de ces constructions.

 Seigneurie du Plessix Porzay

En 1652 Claude du Disquay, écuyer,  rend hommage au Roy pour "raison du manoir terre seigneurie du Plessix, fief, jurisdiction haute basse et moyenne ..." , et dans une déclaration9 après le décès de Pierre du Disquay en 1689 on trouve la description d'une "piesce de terre apellé parc ar justicou au terroir de Kerdoutoux où sont élévés les deux pots et patibulaires de ladite jurisdiction du Plessix Porzay...". Les du Disquay étaient seigneurs haut justiciers, mais étant seulement écuyers n'avaient droit qu'à deux pots.

        Sur la cadastre napoléonien de Plonévez-Porzay, section C, feuille 2, entre la route Locronan-Plonévez et celle qui prend à droite vers Kergoat, les parcelles 401 et 402 sont appelées Goarem Justicou et  Alé Justicou ; c'est probablement là qu'était élevé le patibulaire. Selon l'abbé Pouchoux10, recteur de Plonévez-Porzay du 19e siècle, à environ 300 mètres à l'est-sud-est de Kerdoutoux, et "à quelque distance de la route de Quimper à Lanvéoc, on voyait, il y a quelques années les restes des patibulaires où l'on exécutait des criminels. Ce lieu se nomme Plac-ar-Justicou, et le sentier qui y conduit Hent-ar-Justicou"

Remarquons que si ces trois patibulaires n'étaient pas sur la paroisse de Locronan, ils en étaient proche et même très proches pour ceux de Lezhascoët et du Nevet ; les pèlerins de la Troménie passaient très près d'eux au cours de leur grand tour et il est possible que son trajet se rapprochait autrefois de celui de Kerdoutoux, puisque qu'on note au nord de Patreana, sur le cadastre napoléonien, section C, feuille 3, le lot 702 appelé Prat Saint Rennan, formé d'une pature, d'une fontaine et d'un routoir, et le lot 709 nommé Prat an Droveni.

Le personnel judiciaire

Selon les aveux de 1550 et 1680, il comprenait le sénéchal, le lieutenant et procureur fiscal, le greffier, les procureurs, notaires et sergents.

Le sénéchal était le personnage le plus important ; pour les petites juridictions c’était le seul juge civil et criminel ainsi qu’il est indiqué dans de nombreux actes. Venait ensuite le procureur fiscal qui menait l’instruction d’une affaire et devait rendre ses conclusions au sénéchal. Il était dit  "fiscal" parce qu’il  devait assurer également la rentrée des redevances féodales du Seigneur. D'autres "procureurs" traitaient des affaires des particuliers, et pouvaient éventuellement assurer leur défense.

Le greffier était chargé de la partie administrative des procès. Dans une lettre11 du prieur de Locronan, nous apprenons qu’en 1712 cette charge est donnée à ferme au sieur Jannou pour 50 livres par an. Ce sont eux qui intervenaient au moment d'un décès pour poser les scellés, faire l'inventaire des biens du décédé et procéder éventuellement à leur vente.

Le notaire rédigeait les actes comme aujourd’hui, et l'un d'entre eux était chargé de tenir les registres du contrôle des actes et autres.

Les sergents, généralement assisté de deux aides, devaient transmettre les convocations (les exploits) écrites ou orales,  faire les arrestations et exécuter les sentences, publier les transmissions de propriété etc... Le médaillon de la chaire de l'église qui représente l'arrestation de Ronan, est sans doute inspiré par un sergent et ses deux aides effectuant une prise de corps au début du XVIIIème siècle.

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Prise de corps de Saint Ronan

 

La cour avait pouvoir de police mais lors des grands rassemblements, comme la Troménie qui attirait plusieurs milliers de personnes, le prieur pouvait faire appel à la maréchaussée de Châteaulin pour assurer le maintient de l’ordre.

Les charges d'officiers judiciaires se faisaient sur proposition du seigneur, mais ils devaient être reçus par la sénéchaussée royale de Châteaulin, après enquête sur leurs capacités, et vérification de leurs bonnes vie et moeurs. Le nombre d'affaires à traiter dans chaque juridiction n'étant pas très grand, les officiers judiciaires cumulaient généralement plusieurs charges dans différentes juridictions pour augmenter leurs revenus. La fonction de sénéchal était le plus souvent tenue par un noble.

Citons ceux dont les noms apparaissent dans les registres de baptême, naissance et sépulture de Locronan :
David Vinet12, sieur de Grospillet (années 1650), décédé le 6 juin 1660, des suites d'un coup de fusil tiré par Jacques Olivier). Epouse de Fiacre Cadio.
Michel Thépault, Ecuyer, sieur du Lehec (années 1670). Marié avec Anne Noblets.
Hervé Lesné, sieur du Chenet (années 1670). Marié le 22/11/1673, Le Juch, avec Jeanne Cremeur.
Foucault Yves sieur de Coat an Roch (années 1680), décédé le 14 janvier 1709 à Quimper. Marié à Marie Louezaut.
François Tanguy du Bourg Blanc (1699), Ecuyer.
Joseph de Lezormel, Ecuyer, sieur de Boiglez (années 1700). Marié à Elizabeth Trobert.
Louis de Keroulas, Ecuyer, (Années 1750). Marié à Mathurine Ansquer de Parcpoullic, décédé en 1756.
Louis Piclet13 (1731-1794), né à Locronan

Louis Piclet, qui habitait à Locronan sur la grande place et face à l'église, obtient en 1787 du Prieur de Locronan la charge de sénéchal du prieuré, alors qu'il était déjà sénéchal de plusieurs juridictions. Il adresse une supplique aux juges royaux de Chateaulin pour être reçu dans cette charge. Ceux-ci ordonne une enquête " ..des bonnes vies et moeurs, capacité et expérience...dudit Piclet et profession en la religion catholique apostolique et romaine...". Cette enquête consiste en l'audition de 5 témoins, hommes de lois ou d'église. Ainsi Jean Guillaume Cuzon, doyen des procureurs postulants à Châteaulin "dépose connaître ledit Piclet pour un homme de bien et de mérite d’honneur et de probité et de bonnes vies et mœurs part l’avoir vu exercer la proffession d’avocat en différentes juridictions et en exercer la qualité de juge avec toutte l’intégrité et science d’un bon jurisconsulte, et qu’il est agé d’environ cinquante sept ans, estre capable d’exercer la charge de sénéchal de la juridiction du prieuré de Locronan ; telle est sa déposition de laquelle lecture lui faite par l’adjoint il a dit qu’elle véritable, ne vouloir y augmenter changer ny diminuer mais y persister et a signé" ; Guillaume le Roux, sieur curé de la ville et paroisse et paroisse de Chateaulin " dépose qu’il connaît le sieur Louis Piclet advocat à Locronan pour estre de la religion catholique apostolique et romaine par l’avoir vu fréquenter les sacrements et assister aux offices divins, qu’il est de bonnes vies et mœurs et est ce qu’il dit savoir. telle est sa déposition de laquelle lui faite par l’adjoint il a dit qu’elle est en tout véritable, ne vouloir y augmenter changer ny diminuer mais y persister et a signé "

Louis Piclet sera finalement reçu comme sénéchal du prieuré de Locronan le 15 novembre 1787. Sous la révolution il sera nommé juge de paix à Pont-Croix, région d'origine de son épouse, puis il deviendra administrateur du Finistère, malheureusement pour lui car cela le conduira sur l'échafaud sous la terreur, le 22 mai 1794.

 

Les audiences

Les audiences, ou plaids, se tenaient le mardi, jour de marché, comme nous l'avons vu pour Lezhascoët. Les comptes rendus d'audience du Prieuré de Locronan ont tous disparus ;  il en reste quelques-uns pour les juridictions de Lezhascoët, du Rible et du Vieux Chatel.

Ceux de Lezascoët correspondent aux années 1730 ; ils distinguent les audiences ordinaires de réunions plus solennelles appelées plaids généraux qui se tenaient 3 où 4 fois par an.

Procès

Nous n'avons pas d'exemples de procès criminel du prieuré de Locronan car ses archives juridiques ont disparues. Nous citerons trois exemples traités par d'autres juridictions : deux procès de Guillaume Blouet de Kéricun en Cast, l'un en 1720 devant la justice du Rible et l'autre en 1736 devant celle de Lezhascoët et l'affaire Chalin jugée par l'amirauté.

        Procès Blouet en 1720, juridiction du Rible14.

Guillaume Blouet est accusé par son beau-père Jean le Bot de l'avoir maltraité et agressé ; ils résident tous les deux à Kéricun en Cast, village de la juridiction du Rible. Voici la sentence qui résume l'affaire :

"Veu la procédure criminelle faite à la requète de Guillaume Guéguen sieur de Kermorvan procureur fiscal de la juridiction du Rible demandeur et accusateur contre Guillaume Blouet défendeur et accusé défaillant veu la copie de denonci signifié à maitre Hervé Penhoat procureur fiscal de cette juridiction etc…Nous Escuyer Louis de Keroullas sieur de Kerverziou avocat à la cour senechal et seul juge civil et criminel de la juridiction du Rible assisté de maitres Yves Sanquer et Marc Halna avocats à la cour assesseurs avons déclarés les défauts et contumaces bien et deûment obtenus contre Guillaume Blouet accusé, et par le proffit l’avons déclaré atteint et convaincu d’avoir sorti par force des prisons de Locronan ou il estait détenu en vertu de décret de prise de corps de nous émané le cinquième novembre mille sept cents vingt,  comme aussy l’avons déclarez atteint et convaincu d’avoir esté sur le grand chemin maltraitté à coups de faucille jusqu’as effusion de sang le nommé Jan le Bot son beau père de l’avoir ratté et brulé l’amorce sur luy ; de l’avoir maltraité tant chez luy qu’ailleurs et couru à coups de pierres, de s’estre emparé de ses biens par force et violence forcant ses portes et fenestres à coups de pierres, de lui avoir aussy enterré son lit et ne luj laissant que de la paille pour se coucher de l’avoir souvent menacé de la vie, d’avoir juré et blasphémé le saint nom de dieu ; pour réparation de quoy le condamnons de faire amande honorable feste pied nud en chemise, la corde au col, une torche allumée à la main de la pesanteur de deux livres au devant de la porte de l’église paroissiale de cette ville de Locronan des Bois, ou il demandera pardon à genoux à dieu, au Roy et à la justice d’où il sera conduit par l’accusateur de la haute justice jusques à une potence qui sera plantée à cet effet au milieu de la place publique pour y estre pendu et estranglé jusques à expiration de vie ; ordonnons que ses biens seront confisquez au proffit de la seigneurie sur iceux pris les frais de justice le condamnons a trante livres d’amande et aux dépens liquidez a la somme de quatre cents trante livres neuf sols et aux épices et retrait de la cis refente, fait et arreté en l’auditoire dela dite juridiction ce jour douxième août mille sept cents vingt et un signé en la minute halna avocat y Sanquer avocat et de Keroullas senechal et P. Lebel pour le greffe"

L’appel était automatique auprès du parlement de Bretagne après une condamnation à mort. Guillaume Blouet sera finalement élargi par arrêt de la cour.

Cette sentence nous montre que s'il n'y avait pas de patibulaires à Locronan, on pouvait exécuter les condamnés en dressant une potence sur la grande place.

        Procès Blouet en 1736, juridiction de Guengat et Lesarscoët15

L'affaire est moins grave ; Jeanne Gilles, épouse de Hervé le Quer de Creach Cast, village voisin de Kericun, ayant du témoigner à Quimper dans un procès opposant Guillaume Blouet à Guillaume Gueguen sieur de Kermorvan, le tribunal lui avait octroyé une somme de 68 sols pour ses frais, somme qui devait lui être payée par Guillaume Blouet. Un litige surviendra entre les deux protagonistes à Crech Cast, dans la juridiction de Lezhascoët,au cours duquel "Jeanne Gilles est renversée sur une auge par Guillaume Blouet, frappée à coups de batons, et traitée en même temps de putain et de garse", d'où le procès et la condamnation de Blouet à 120 livres d'amende.

Il est intéressant de noter la description de Guillaume Blouet dans le procès verbal de son interrogation : il y est décrit comme « un homme de la hauteur de cinq pied et deux poulces, ayant un mauvais chapeau, deux vestes bleues, culotte et ganache de toile et des sabots aux pieds » il dit être âgé d’environ cinquante ans, demeurer au village de Kerincuff paroisse de Cast et donne sa version des faits. On reconnait la description typique du breton de la campagne des gravures du 19e siècle.

 L'affaire Chalin, juridiction de l'Amirauté.16

Le 11 mars 1728 Ollivier Chalin, de Locronan, fils de Henry Chalin, tisserand et marchand toilier, se rend à cheval à Camaret porter une somme de 3800 livres au sieur de Basse Maison Torrec. Il rejoint en route François Calvez, également tisserand à Locronan, qu'il retrouve dans la soirée pour le chemin du retour. A la tombée de la nuit ils s'arrêtent à l'auberge de Marie Naga à Pentrez, en Saint-Nic, à l'entrée de la lieue de grève pour boire une chopine de vin. François Calvez décide d'y passer la nuit, et Ollivier Chalin reprend la route de Locronan malgré l'obscurité. On ne le reverra plus vivant. Son père et quelques habitants de Locronan le chercherons en vain le lendemain ; finalement son corps sera découvert quelques jours plus tard sur la plage près le moulin Cambro ou Cameros en Argol et l'enquête sera confiée à la juridiction de l'amirauté. Il est rapidement établi que la mort résulte de coups portés à la tête suivis d'un étranglement.

Deux parties vont s'affronter : celui du père de la victime soutenu par les tisserands de Locronan, qui accusent Marie Naga et ses employés d'être à l'origine du meurtre, alors que ceux-ci s'en défendent. Les premiers témoignages accusent Marie Naga et autres, qui seront arrêtés et emprisonnés à Quimper, où se déroulera l'instruction, mis à part les interrogatoires de François Calvez et Henry Chalin qui auront lieu à l'auditoire de Locronan. Finalement les preuves formelles de la culpabilité de Marie Naga ne pourront être établies et elle sera libérée le 12 avril 1729.

            Le procès des fausses marques des toiles, juridiction de la Manufacture17.

En 1749, plusieurs tisserands de la région de Locronan, sont poursuivis pour  avoir fabriqué et apposé sur leurs toiles des fausses marques, c'est-à-dire des cachets imitant celui du bureau de la visite obligatoire de Locronan. Le procès est instruit par Monsieur de Kervillio Frollo, conseiller au présidial de Quimper. Nous l'avons évoqué par ailleurs. Ajoutons cependant une particularité de l'instruction : l'appel a des témoignages par l'utilisation de monitoires qui étaient lus au prône dans toute les paroisses environnantes. Une première partie consiste en un exposé des "faits et articles" que l'on veut prouver :

"primo que certains malfaiteurs ont fabriqués ou fait fabriqués de faux coings pour contrefaire les véritables marques et empreintes du bureau des toiles établis à Loc-Ronan, lesquelles fausses empreintes lesdits malfaiteurs apposent ou font apposer sur las pièces de toiles qu'ils fabriquent, ou qui sont fabriquées par d'autres tisserants, ce qui est contraire à la foy publique et à la sureté du commerce et aux volontés de sa Majesté marquées par l'arrêté de son conseil du 13 mars 1742 portant règlement pour les toiles.

secundo que lesdits malfaiteurs soit fabricants ou autres qui ne se servent pas de faux coings apposent cependant cependant de fausses marques ou empreintes sur les toiles qu'ils fabriquent ou qu'ils vendent et contrefont les marques dudit bureau de Loc-Ronan par des empreintes falsifiées avec de l'encre par le moyen de plume, poinçon, pointes de compas ou autres instruments pointus.

tertio que quelqu'uns desdits fabriquants qui aposent ou font aposer sur leurs toiles de fausses empreintes affectent de ne point y apposer leurs marques par contrevention audit arrest du conseil afin de pouvoir par là se cacher ou se procurer l'impunité en désavouant les toiles qu'ils ont vendues sous des empreintes falsifiées.

que les faits cidessus circonstances et dépendances sont à la connaissance de plusieurs personnes qui les ont vu, seu ou entendu dire et doivent venir à révélation d'iceux.

La seconde partie est une lettre de Auguste François Annibal de Fracy de Cuillé, Evêque de Quimper, adressée aux recteurs des paroisses concernées. Il leur enjoint de "lire et publier sur ce requis aux prônes de vos grandes messes par trois dimanches ou fêtes consécutifs le présent monitoire que nous avons accordé", et leur demande "d'admonester tous ceux et celles qui auroient quelques connoissances des faits circonstances et dépendances contenus en l'exposé ci-dessus des autres parts, soit pour avoir vu , entendu, ouis dire, ou autrement devenir à düe révélation et déclaration six jours après la dernière lecture du présent, à moins d'avoir queque raison de droit qui les en dispense, à peine d'encourir les censures de l'Eglize à nous réservées".

La troisième partie est la réponse du recteur, au bas de l'acte. Ainsi à Locronan, B. Guillo, prêtre recteur de la paroisse, donne une réponse négative :

"Je soussigné prêtre recteur de la paroisse de Locronan Saint Ronan des Bois, certifie avoir publié le monitoire de l'autre part, scavoir le dix neuf, vingt six octobre, et deux de novembre, et que personne ne s'est présenté pour devoir venir à révélation sur les faits y contenus. En foy de quoi ay signé à Locronan ce 9e novembre mil sept quarante neuf".

Le même résultat est observé dans les autres paroisses : les monitoires n'auront pas fait avancé l'enquête.

 Notes

1 René Blanchard (éd.), Lettres et mandements de Jean V, duc de Bretagne, Nantes, Société des bibliophiles bretons, 1889-1895, n° 1161.
2 Arch. Dép. Loire-Atlantique, B 800, Rentier du prieuré de Locronan, 1550.
3 Arch. Dép. Loire-Atlantique, B 1164, Rentier du prieuré de Locronan, 1680.
4 M.H. Bourde de la Rogerie, Origine et organisation des sièges d'Amirauté établis en Bretagne, Bulletin Soc. Arch. du Finistère, 1902.
5 Encyclopédie Diderot et D'Alembert, 1757, t7, pp224.
6 Arch. Dép. Loire-Atlantique, B 1164, Aveu de Jacques de Quergorlay, 1681.
7 Arch. Dép. Finistère,1 G 156, Aveu du Seigneur de Névet, 1644.
8 Arch. Dép. Finistère, A 88, Aveu du Seigneur de Névet, 1682.
9 Arch. Dép. Loire-Atlantique, B 1150, Minu et déclaration après le décès de Pierre du Disquay, seigneur de Kervent et du Plessix-Porzay, 1689.
10 Abbé Pouchous, Monographie de la paroisse de ¨Plonevez-Porzay, Bulletin  Soc. Arch. du Finistère, 1894, pp186.
11 Arch. Dép. Finistère, 5 H 509, Lettre du fermier du prieuré à l'abbé de Sainte Croix de Quimperlé, 1712.
12 Jean Kerhervé, François Roudaut et Jean Tanguy, La Bretagne en 1665 d'après le rapport de Colbert de Croissy, CRBC, Brest, 1978, pp208.
13 Arch. Dép. Finistère, 3 B 6, Nomination de Louis Piclet Sénéchal de la juridiction du Prieuré de Locronan, 1787.
14 Arch. Dép. Finistère, 13 B 273, Procédure criminelle contre Guillaume Blouet, accusé d'avoir sorti par force de la prison de Locronan, d'avoir été sur le grand chemin maltraiter à coups de faucille le nommé Jean Le Bot son beau père, de l'avoir ratté et brulé l'amorce sur lui, de l'avoir maltraité tant chez lui qu'ailleurs à coups de pierres et s'être emparé de ses biens par force et violence en forçant ses portes et fenêtres à coups de pierres, Juridiction du Rible, 1720.
15 Arch. Dép. Finistère, 13 B 254, Hervé Quer et Jeanne Gille sa femme, contre Guillaume Blouet et Alain Colin, Juridiction de Guengat et Leshascoet, 1736.
16 Centre Généalogique du Finistère, L'affaire Chalin (1728).
17 Arch. Dép. Ille-et-Vilaine, C 2630, Procédure contre certains tisserands de la région de Locronan, accusés d'avoir contrefait les empreintes du bureau de visite des toiles, Juridiction de la manufacture, 1749.