Les miracles

résurection LazareLocronan a été, au cours du moyen-âge chrétien, une terre propice aux miracles, c’est-à-dire aux faits qui n’obéissent pas à la nature et que l’on peut attribuer à la puissance divine. Jésus en avait accompli de nombreux, que l'on trouve dans les évangiles ; un panneau du grand vitrail de l'église représente celui de la résurrection de Lazare.

Jusqu'au début du 20e siècle on attribuait sans doute des vertus curatrices à l'eau de la fontaine Saint-Eutrope : à la station du Saint le pèlerin était invité à embrasser son reliquaire avant de boire un verre de cette eau. Au 18e siècle, au moment du pardon de la chapelle Saint-Eutrope, une personne était payée pour préparer "l'eau des reliques", sans doute en plongeant les reliques du saint dans l’eau de sa fontaine.

 La mémoire de la "Gazek Ven" a franchi les limites du minihy, puisque Joachim Bouflet1 écrit en 2008, après avoir rappelé que les pierres sacrées ont été associées depuis la plus haute antiquité à la guérison de la stérilité : " A Locronan la Jument de Pierre est une pierre druidique passant pour accorder la maternité : c'est un rocher comportant une cavité allongée au bord relevé de chaque côté figurant une vulve géante. Il était d'usage pour la femme qui voulait des enfants de s'y étendre trois nuits d'affilée."

 La procession autour de la Gazeg VaenChristianisée sous le nom de "Chaise de Saint Ronan", elle a transmis ses vertus au Saint. Le père de Rozaven écrivait en 1817, dans une lettre2 à une de ses nièces : "...vous désirez être mère... vous devez savoir que notre Saint Ronan, patron de Locronan, est efficacement invoqué par les femmes qui sont dans le même cas que vous. Anne de Bretagne, Reine de France, a obtenu des enfans par l'intercession de ce Saint...". Anne de Bretagne aurait en effet donné naissance à sa fille Renée après un pèlerinage à Locronan.

chaire

 

Plus près de nous, en 1917, Léon le Berre3 signale qu'un ménage parisien, n'ayant rien de breton dans les ascendances, s'y livra aux actes requis, en espérant n'être point vu.

La vie de Saint Ronan est également parsemée de miracles ; en parallèle avec la résurrection de Lazare du grand vitrail, on trouve sur un médaillon de la chaire la résurrection de la fille de la Keben, et l'ancien clocher octogonal de l'église était lui-même symbole de résurrection. Sa vita le montre encore apaisant les loups, rendant la parole à un muet etc...

Comme le Christ et ses apôtres, les saints vivants avaient aussi le pouvoir de faire des miracles. Après leur mort ce pouvoir était transmis à leurs reliques, dont la possession, devenue primordiale pour les abbayes, sera au moyen-âge à l’origine d’un véritable commerce. Nos ancêtres d’alors croyaient par exemple aux guérisons obtenues par contact des reliques, et les lieux où elles étaient conservées attiraient des foules considérables. Lors de la troménie le pèlerin passait devant de nombreuses huttes dédiées aux saints de la région, et pouvait aussi toucher leurs reliques ; en contrepartie il devait y laisser une offrande.

vitrailAu début du XVIIe siècle, les excès des guerres de la ligue ont engendrés misère et ignorance. Ivrognerie et manque d’instruction avaient gagné presque toutes les classes de la société, jusqu’au clergé. Le diocèse lui-même était laissé plus ou moins à l’abandon, donné en « commende » à plusieurs évêques. C’est pourquoi l’église jugea nécessaire d’y envoyer des missionnaires, dont le père Michel le Nobletz et son successeur Julien Maunoir (1606-1683, béatifié en 1951). Celui-ci prêchera plusieurs missions à Locronan (en 1659, année de grande troménie et 1679) et dans les paroisses voisines. Un des vitraux de l’église de Kerlaz le représente la grande mission de 1658. On lui attribue plusieurs centaines de miracles, qui sont relatés dans « Le recueil des miracles du père Maunoir » écrit par G. Le Roux4 en 1715.

La plupart de ces miracles étaient utilitaires ; pour beaucoup de maladies la médecine était à l’époque impuissante et on recherchait la guérison dans l’invocation des saints, en faisant un vœu. Citons quelques rubriques du livre : prophéties, changement de temps, morts ressuscités, aveugles, sourds, muets, boiteux, paralytiques guéris, aliénés rendus à la raison etc…

Mais il fallait respecter son vœu :  François le Boussart, de Plonevez-Porzay, qui selon une déclaration du 4 juin 1683 fut guéri de douleurs à un bras en promettant d’aller se recueillir sur le tombeau du père Maunoir ; n’ayant pas effectué sa promesse, les douleurs réapparurent, et ce n’est qu’en prenant la route du tombeau qu’elles disparurent définitivement.

D’autres miracles avaient pour objet la glorification de Dieu, d’un saint, d’un lieu ou d’un rite. Ce sera le cas de ceux qui sont décrits dans les archives de la paroisse dans une attestation de miracles passée devant notaire le 10 septembre 1689, qui relate trois miracles en relation avec la Troménie, ce qui est cependant très peu par rapport aux 1625 recensés à Sainte Anne d'Auray entre 1625 et 1685 ou aux centaines du père Maunoir. Le tombeau de celui-ci, situé à Plevin, attirait beaucoup de pèlerins et le nouveau prieur Charles Feydeau, chevalier de Malte, domicilié à Paris, qui se marie en 1690 avec la dame de Tresseaul, avait peut-être encouragé ces témoignages pour rappeler le caractère sacré de Saint Ronan et de la troménie5 :

 1) Plusieurs témoins attestent avoir vu en 1677, "qui était année du Grand Troveny…, les reliques avec leurs parures et ornements rendues toutes sèches en ladite église et sans être aucunement mouillées après avoir été à l'accoutumée portées audit tour, nonobstant le gros temps et pluies qui ne cessa depuis la sortie de ladite procession jusqu'à son retour...".

2) René Cadiou de Treguibian en Plonévez, Anne le Faou veuve d'Hervé Kernaleguen et Marie Dervé veuve d'Yves Kernaleguen, affirment qu'en 1689 ils ont "vu dans l'air au dessus de ladite procession, comme on montait processionnellement la montagne de Plas an Corn avec les reliques, des flammes de feu allant et venant au dessus de ladite procession, par divers foyers et diverses places, lesquels après avoir ainsi voltigé ça et là quelque temps paraissaient monter tout droit et haut vers le ciel ..."

3) Enfin Mathieu Nicolas, de Gorrequer en Plonévez, étant un dimanche midi à la porte de sa maison avec ses enfants, témoigne avoir vu vers 1683 " une fort belle et nombreuse procession semblable à celle du grand tour dans la montagne, laquelle lui paraissait venir devers le lieu nommé Bes Quében, et y pouvant y discerner parmi les autres la grande Croix d'argent de saint Ronan ...". D'autres témoins déclarent " avoir oui dire par leurs prédécesseurs que l'on avait vu sortir lesdites reliques avec croix et bannières à pareil jour dudit tour...".

Il n’y a dans ces trois cas aucun bénéficiaire direct ; ce sont des manifestations de la puissance divine.

Que reste-t-il aujourd'hui de ces miracles ? Si depuis le début du 20e siècle, on n'offre plus le verre d'eau à la station Saint-Eutrope, la Gazek Ven a peut-être encore son utilité, et les reliques ont gardé la première place dans la procession : la rentrée au penity se fait sous le reliquaire et parfois en le touchant.

rentrée

 Notes

1 BOUFLET Joachim, Une histoire des miracles, Paris, Seuil, 2008.
2 PONDAVEN, ABGRALL, PERENNES, Locronan, Notice historique, Paris, 1927. avérifier
3 Le BERRE Léon, Autour de Plaç-ar-C’Horn, Quimper, Le Goaziou, 1917.
4 LE ROUX, P.P.G., Recueil des vertus et des miracles du R.P. Julien Maunoir, Prud’homme, Saint-Brieuc, 1848.
5 Archives diocésaines de Quimper, Archives du prieuré de Locronan, série AAA 7 / 1, 2, 3.