Le Menec

 

Les plus anciens documents que nous connaissons sur la description des terres de Locronan sont les aveux au roi de 1550 et 1557, qui recensent les rentes perçues par le prieur de Locronan. On lit, à propos du Ménec, orthographié Maenec1 à cette époque :

Dessus les terres an Maenec dempuix à Urvoez et Armel
apres a Guillaume Lavenat a present Jehan Urvoez Keranhuen
trois denier oboles deux rennées fourment et deux rennées avoine pour ce 

iii denier obole, ii ren. fourment , ii ren. avoine.

La rennée, ou resnée, était une unité de mesure des grains équivalente au boisseau. Remarquons l'écriture du nom du village sous la forme de Maenec, sans doute une écriture ancienne. Lors de la rédaction des aveux, il était fréquent de voir les notaires reprendre un ancien texte, en actualisant seulement les noms des personnes. Quelques années plus tard, dans les cahiers de compte de la fabrique Saint Ronan des années 15902, on trouve l'orthographe actuelle de Ménec (ou Venec), tout comme dans les actes ultérieurs.

Ainsi, en 1627, un contrat de bail des terres que l'ancien recteur Loys Le Noy avait donné à la fabrique, les décrit comme étant  "deux parcs et pieces de terre avecp le fenier au bout, par cy devant laissé et légué a ladicte esglise parrochialle par feu missire Louys le Noy recteur de Plogonnec sittués près le lieu du Menec en la parroesse dudict Sainct René du Boys"3.

En 1680, dans un nouvel aveu du prieur au roi, on lit à propos du Ménec4 :  

"Autre village nommé le Mennec  tenu en fond sous ledit seigneur prieur par les dames de Tresseault et Bodilieau et le sieur du Stivel Moreau et profité par Louis et François Cevaer pour payer par an de chefrante huit livres froment et huit livres avoinne"

Il y avait donc deux tenues qui relevaient de la seigneurie du prieuré. Les propriétaires fonciers en étaient la dame de Tresseaul et le sieur du Stivel, et les exploitants Louis et François Cevaer.

La dame de Tresseaul était alors Marie Anne du Plessis, épouse de François Joseph du Bois de Tresseaul. Après le décès de ce dernier en 1684, elle épousera Charles Feydeau, prieur de Locronan, en 1690.

Le sieur du Stivel était Henri Moreau, qui décède en 1685. Un autre Moreau, Jacques (probablement apparenté au précédent), est dit sieur du Menec, général d'armes, avocat, procureur fiscal de Locronan. Marié à Catherine Tancre le trois février 1673, il aura plusieurs enfants, dont deux seront eux aussi sieur du Ménec : Jacques, (1674-1718), marié avec Antoinette Doute en 1712, qui sera bailly et sénéchal de Douarnenez, Châteaulin, Crozon ; Joseph (1679-1734), qui épouse Françoise Poullain en 1703, sera procureur fiscal de Locronan5

Après le décès de Marie Ursule de Kersulguen (petite-fille de Marie Anne du Plessis) en 1727, la seigneurie de Tresseaul revient par succession collatérale à la famille de Cuilly, qui en fait l'inventaire en 1731 pour payer les droits du "centième denier"6. On y trouve "une tenue au lieu du Venec en locornan proffité par Guillaume Hascoet pour payer par an deux combles froment, deux combles seigle, deux combles avoine, trois livres dues en argent et deux chapons faisant par evaluation en argent vingt-deux livres deux sols et de capital 442 livres".

D'autres familles vivaient au Ménec au début du XVIIIème siècle. On lit dans le registre des sépultures de 1725 que le "quinzième d'avril le corps de Jeanne Piriou, veufve d'André Siou, aagée de près de quatre-vingt ans morte du 13 du présent mois au village du Ménec, a esté enterrée en cette eglise en présence d'Yves Piriou son frère, Jean et Guillaume Piriou ses neveux".

Quelques jours auparavant, le registre du centième denier de Locronan7 du 9 février 1725 enregistrait la comparution de "Jeanne Piriou, veuve de feu André Siou, demeurante au village du Vennec à Locronan, faisant pour les héritiers dudit feu Siou son mary, laquelle a déclaré que de sa succession il lui revient une somme de 120 livres, la moitié de laquelle lui revient estant un my acquet entre eux, ce qui se justiffie par contrat du 6 octobre 1716 au rapport du Gac notaire, et est tout le bien qui luy est revenu de ladite succession, se soumetante aux paynes portées par les edits et déclarations en cas de fausse declaration. Ledit Syou mort environ cincq ans".

Sur ce même registre un autre article du 18 Juillet 1725 est relatif à la succession de Jeanne Piriou : "Est comparue au bureau des insinuations laïques du bureau de Locronan, Yves, Jean et Guillaume Piriou frères, faisant tant pour eux que pour leurs consors, demaurants à Locronan, lesquels pour obéir aux edits et déclarations de sa majesté, en date du 3 mars 1723 et autres. Lesquels ont déclarés que de la succession de défunte Jeanne Piriou morte sans hoir de corps au lieu du Menec paroisse de Locronan il leurs échu une rente de soixante de soixante et quatorze livres cinq sols et dix deniers qui au denier vingt font mil quatre cent quatre vingt livres sept sols trois deniers et est tout ce qu'il leurs échu…". Soit un capital non négligeable de 1480 livres.

Entre 1720 et 1750, plusieurs de ces biens vont être achetés par Anne Boger, enrichie par son négoce de toiles à voile, dont elle avait l'exclusivité pour fournir la Compagnie des Indes établie à Lorient.

19.09.1725 : Anne Boger, veuve Pommier, a requis l'insinuation d'un contrat de vente d'héritages situés au Vénec, acquis de Yves, Jan, et Guillaume Piriou et autre pour 900  livres8.

24.11.1730 : Anne Boger, veuve Pommier, a requis l'insinuation d'un contrat de vente d'héritages situés au Ménec, acquis de demoiselle Thérèse Renée Moreau pour 180 livres9.

24.04.1731 ; Anne Boger, a requis l'insinuation d'un contrat de vente d'héritages situés au Menec, acquis du seigneur marquis du Pleuc pour 750 livres 10.

Fondation : En 1740 Anne Boger déclare "fonder à perpétuité une messe à basse voix à estre dite tous les jours de chaque année"11. Pour cela, une somme de 156 livres 10 sols est prise sur les revenus de Kerjaury (60 livres), le Stivel (54 livres), et le Menec (42 livres 10 sols).

 Après son décès en 1752, on trouve, dans l'inventaire de ses bien un article relatif au Ménec12 :
"La metterie du Venec possédée
par Georget et Le Sant arrentée cy                          165 livre 06 sol 5 denier
Droits réparatoires au même lieu sous
le sieur de Trevascoet arrentés cy                            020 livre 15 sol 6 denier
Autres droits réparatoires au même lieu
sous le seigneur de Tresseaul de Cuillé
arrentés cy                                                                044 livre 03 sol 6 denier
"

La première ligne pourrait correspondre à une propriété foncière. Mais pour exploiter ces terres, le paysan devait acquérir un bail dit "à domaine congéable et réparable", qui le rendait propriétaire des bâtiments et des cultures. Il possédait des "droits réparatoires", qui devaient lui être reversés en cas de congément, mais qu'il pouvait aussi sous-louer ou vendre à quelqu'un d'autre.

On voit qu'Anne Boger avait acquis deux de ces droits réparatoires au Ménec, en particulier  ceux de la tenue des seigneurs de Tresseaul de Cuillé. Elle effectuera d'autres achats dans les villages voisins du Stivel et de Kerjaury (aujourd'hui disparu).

Après son décès, ses biens seront partagés entre ses héritiers, qui étaient ses neveux et leurs descendants. L'un d'eux, Pierre Elie Chardon, sera son successeur dans son commerce de toiles à voile. Il hérite d'une partie du Ménec et rachète le lot de Sophie Chevalier, épouse de Alain le Jumeau de Kerhuel, et petite-nièce d'Anne Boger 13. Cet ensemble sera loué pour 246 livres à René L'Helgouarch et femme (Marie Anne Hascoët) en 176314 : il doit s'agir des terres arrentées pour 165 livres de l'inventaire de 1752.

Au décès de Pierre Chardon en 1777, le Ménec revient à ses quatre enfants, Marie Anne, Louis Pierre, Pierre Elye et Jean François. Mais ce dernier est absent de Locronan depuis 1769, et n'a pas donné signe de vie depuis cette date. Et comme Pierre Elye décède en 1784, ce sont finalement Anne Marie, épouse de Louis le Dall de Kerangalet, et son frère Louis Pierre qui vont se partager les biens en 1785 et 1786. La succession est enregistrée au bureau de contrôle des actes de Locronan le 18 mai 178515. Le "lieu du Ménec et Kerjavry en la paroisse de Locronan" est estimé "valoir en fond" 7800 livres en 1785 et 5700 livres en 1786.

La propriété sera ensuite vendue, puisque le propriétaire est Monsieur Le Déan, de Quimper, sur le cadastre de 1808. C'était probablement François Jérome, qui avait déjà acheté quelques biens nationaux à Locronan sous la Révolution.

Lors du partage de la succession de François Jérome le Dean (décédé le 26 février 1823), le lot du Menec ou Kerjaury, à Locronan, estimé 634 franc, échoit à sa nièce Eugénie Le Dean, épouse de Jean Marie le Bastard de Kerguifinec. Il va rester dans cette famille jusqu'à la fin du XIXème siècle.

Il est plus difficile de suivre dans le temps les exploitants des terres du village. Leurs noms peuvent apparaître dans les aveux, comme pour Louis et François Cevaer en 1680 pour lesquels avons pas trouvé de successeurs, mais surtout dans les registres paroissiaux d'état civil.

Au XVIIIème on y trouve le couple Guillaume Hascoet (1674-1744), laboureur de terre, marié à Marie Gourmelen (1692-1761) en 1713. Ils y auront huit enfants jusqu'en 1731.

Jean Conan, tisserand, épouse successivement Anne Jouenou en 1721, Henriette Le Breton en 1728 et Catherine Vergoz en 1737. Il aura plusieurs enfants au Ménec, où il résidait en même temps que le couple précédent.

Un troisième couple y demeurait à la même époque : Yves Scordia (1690-1730), époux d'Anne Marzin (1706-1783), qui aura trois enfants au Ménec. Après le décès de son mari en 1730, Anne Marzin épouse en 1731 Yves Perrault, qui meut un an plus tard, puis Hervé Le Berre, tisserand, en 1737, qui lui donnera 10 enfants.

Le registre des tisserands16 de la manufacture, établi à partir de 1748, indique que quatre d'entre eux habitaient bau Ménec : Claude Naga, Guillaume Douy et Jacques Le Sant en 1749, et René l'Helgouarch en 1763.

Jacques Le Sant, époux de Marie Jeanne Le Bihan puis de Marie le Den, occupe l'une des maisons dans l'acte de vente de 175413.

Nous avons déjà vu que René l'Helgouarch avait loué l'exploitation en 1763. Il décède en 1810 sans avoir eu d'enfant.

Nous constatons que le village était occupé par plusieurs familles au XVIIIème siècle,  laboureurs de terre, mais aussi tisserands après les achats d'Anne Boger. Notons que son successeur Pierre Elie Chardon  se réserve le droit de "mettre ses fils blanchir dans le petit pré qui est au-dessus des jardins", dans le bail de 176314: le travail du chanvre y tenait probablement une place importante à cette époque.

Au XIXéme siècle les tables de recensement17 apporteront des informations plus précises. Ainsi, en 1846, on y trouve la famille Mauguen (Jean et époux de Jeanne Sauveur, leurs enfants Jeanne et Jean, et Jeanne Poquet la grand-mère). Leurs descendants y seront présents jusqu'aux années 1950.

Avant la Révolution, nous n'avons trouvé qu'un seul acte contenant un inventaire partiel du village13, consistant "en une maison où demeure Jacques Le Sant, une crèche à son pignon d'orient;une autre maison au midy de la précédente, une maison à l'occident de celle où demeure ledit Sant, autre maison à l'occident de cette dernière trois petits courtils au midy desdittes maisons, un parc de terre chaude à l'oriant de l'air à batre, un courtil nommé liors Pezron au nord des maisons, parc an Diry, terre chaude, autre parc de terre chaude nommé parc Hir, autre parc partye de terre chaude en partye de terre froide, autre parc à l'oriant de parc Tyrien aussy partye de terre chaude et partye de terre froide, un pré fauchable au midy du chemin chartier qui conduit dudit Ménec audit Locronan, le côté du midy d'un autre pré fauchable nommé loirs Izela, une petitte montagne nommée Menez Locronan avec leurs édifices en leurs endroits, leur à la fontaine et au douet à laver…".

Des descriptions plus complètes se trouvent dans les cadastres napoléoniens18, en particulier celui de 1847, qui contient toutes les terres acquises par Mr Le Déan (la liste indique le nom et le numéro des parcelles) :

Dans la section 2 :

Liors bian (15), Foennec Kerjauré (16), Liors Mary Lous (17), Parc Cann (21), Poullou Dour bras (21 bis), Gonidou bras (22), Parc Hir (23), Parc an Diri (24), al liors bras (25), la maison d'en haut (26), Verger Goz, (27,28), la maison d'en bas (29), Liors Guéot (30), Foennec Saint Ronan (31), Parc Roc (32,33), Parc ar C'haon (34), Liors Locronan (49), Goarem ar Feunteun (65), Foennec ar Feunteun (66), Foennec Braz (67), Jardin Coz (68), Ar Jardin (69), La maison principale (70), Pen alliors (71), Parc an Allé (72), Parc ar Groaz (73), Parquis Poul (74), Tost Sapin (75), Parc an Hot? (76,77), Goarem Kerjacob (82),

Dans la section 3 :

Parc Ruille (73,74), Parc Nedelec (75, 76, 77), Parc Nevez Chardon (79), Goarem Ros Querch (80,81), Coadic ar Groaz (82), Parc an Alliors (89), ar Balanous (92).

Les environs du Menec en 1847
Arch. Dép. Finistére

Notes

1 Arch. Dép. Loire-Atlantique, B 800, Rentier du prieuré de Locronan, 1550, 1557.
2 Archives diocésaines de Quimper, Archives du prieuré, Cahiers de comptes des fabriques, série AAA 7 / 1, 2, 3, 1590.
3 Archives diocésaines de Quimper, archives du prieuré, Bail des terres du Noy, série AAA 7, 1627.
4 Arch. Dép. Loire-Atlantique, B 1164, Rentier du prieuré de Locronan, 1680.
5 Arch. Com. Locronan, Registres de Baptèmes, Mariages, Sépultures.
6 Arch. Dép. Finistère, 25 C2 9, Succession de Marie Ursule de Kersulguen, 1731.

7 Arch. Dép. Finistère, 25 C2 6, Successions d'André Siou, de Jeanne Piriou, 1725.
8 Arch. Dép. Finistère, 25 C2 6, Achat d'héritages au Vennec par Anne Boger, de Yves, Jean et Guillaume Piriou, 1725.
9 Arch. Dép. Finistère, 25 C2 9, Achat d'héritages au Menec par Anne Boger, de Thérèse Renée Moreau, 1730.
10 Arch. Dép. Finistère, 25 C2 9, Achat d'héritages au Menec par Anne Boger, du Marquis du Pleuc, 1731.
11 Arch. Dép. Finistère, 4 E 33 4, Fondation d'Anne Boger au profit de la paroisse Saint-Ronan, 1740.
12 Arch. Dép. Finistère, 25 C 18, Estimation des biens de la succession d'Anne Boger, 1752.
13 Arch. Dép. Finistère, 4 E 36 15, Acquet au village du Menec des maisons et terres de Sophie Chevallier, Par Pierre Elie Chardon, 1754.
14 Arch. Dép. Finistère, 4 E 36 21, Bail à ferme au Menec, consenti par Pierre Elie Chardon à René L'Helgouarch et femme, 1763.
15 Arch. Dép. Finistère, 25 C2 30 et 31, Succession de Pierre Elie Chardon, 1785, 1786.
16 Arch. Dép.Finistère, C 35, Registres de la Manufacture de Locronan, 1748.
17 Arch. Dép.Finistère, 6 M 435, Recensement et dénombrement de la population.
18 Arch. Dép. Finistère, 3 P 135, Cadastres Napoléoniens, 1808-1847.