Témoignages

On ne trouve aujourd'hui que peu de témoignages issus des correspondances entre les Poilus de Locronan et leurs familles. Une des causes réside dans le fait que leur langue usuelle était le breton ; beaucoup ne savaient pas ou plus écrire le français, même s'ils l'avaient appris à l'école. Il fallait donc dicter les lettres à un interprète, qui les transcrivait en français, puis retraduire le texte en breton aux familles.
Ces problèmes n'existaient pas pour la famille Robin, originaire de la Drôme, où le père Jean Victor s'était marié à Romans en 1889 avec Joséphine Deliot. Le couple s'installe ensuite à Boisgervilly en Ille-et-Vilaine comme négociants, où son épouse décède le 26 janvier 1894. De son second mariage avec Marie Rozais naîtront huit enfants, trois à Boisgervilly et les autres à Locronan où Jean Victor est nommé receveur buraliste à la poste en 1898. Leurs trois ainés, Julien, Hyacinthe et Désiré seront élèves de l'école des enfants de troupe des Andelys. Ils devaient à ce titre s'engager dans l'armée le jour de leurs 17 ans. Deux d'entre eux, Hyacinthe et Désiré sont inscrits sur le monument aux morts de Locronan, et ce dernier a laissé un carnet de notes de sa brève vie de combattant, qui nous a été aimablement communiqué par sa famille.

Désiré Joseph ROBIN

Désiré Robin, né le 13 mars 1898, signe son engagement volontaire pour la durée de la guerre le 13 mars 1915 au 41e régiment d'infanterie. Il reçoit une courte formation au camp de Coëtquidan, est nommé caporal le 16 mai, puis rejoint le front près d’Arras le 24, d'où il écrit à son père : Bien cher Papa, Je suis arrivé depuis 10 heures et vais probablement demeurer ici quelques jours. J'ai été versé à la 8e compagnie du 2e bataillon du 70e d'infanterie secteur postal 74. Je suis avec tous les gradés du 41e au 2e bataillon. J'ai vu des camarades des Andelys dont 2 sont sergents à la 8e. J'ai également vu Eussaff Alain caporal au 71e. Je suis embêté d'être au 70e alors que je venais pour le 41e. Le canon marche toujours et les aéroplanes. Y suis très bien et t'embrasse de tout mon cœur. Ton fils D. Robin.

Pendant presque deux mois il va narrer sa vie au front dans un carnet de notes. Elle est rythmée par les bombardements, échanges d'artillerie entre les "77" allemands et les "75" français. Il raconte le creusement des tranchées, les corvées de munitions, la pose des barbelés, la boue des jours de pluie, les abris, sa haine de l'ennemi, les boches,

mais aussi le répit des jours de relève où il peut parfois avoir la visite de son frère Julien. En voici quelques extraits :

La zone de front au nord d’Arras en mai-juin-juillet 1915

La zone de front au nord d’Arras en mai-juin-juillet 1915

Nuit du 28 au 29 mai, 4e section de corvée pour la fabrication d'un boyau ; nous entendons siffler quelques balles qui n'atteignent personne, ainsi que quelques obus de 17 dirigés sur St Nicolas et Ste Catherine (C'est là que je vois les premiers morts qui sont déchiquetés, ce qui me fait une très mauvaise impression).

1er juin (mardi) Combat violent d'artillerie. Nous sommes arrosés d'obus de tous calibres comme dans la journée du 31.

Nuit du 1er au 2, la section est de corvée pour déblayer les tranchées bouleversées par les obus allemands comme le 31. Pendant ce travail les balles ne cessent de siffler et de faucher, et les obus arrivent de temps en temps par groupes de 4, 5, 6 sur les différents points occupés par la section, et plus loin. 2 juin (mercredi) Bombardement intense d'artillerie par les Boches qui n'ont cessé d'envoyer des marmites de tous calibres, dont plusieurs comme les deux jours précédents sont tombées autour de la baraque.

 5 juin (samedi) Bombardement intense des deux côtés. Julien (mon frère maréchal des logis au 50e d'artillerie) est venu me voir ce qui m'a fait plaisir, étant donné qu'il y avait dix mois que je ne l'avais vu. Pendant qu'il était avec moi, il est arrivé une rafale d'obus fusants, dont un percutant qui a atteint une maison que nous venions de quitter, et dont nous étions à 8 ou 10 pas, y faisant un blessé.

Nuit du 5 juin au 6 juin, moments terribles pour la compagnie, qui était désignée pour creuser un boyau parallèle aux tranchées adverses . Nous sommes donc allés prendre position sur la plaine, entre les deux lignes de tranchées et y avons creusé des boyaux. Les tranchées étaient distantes d'environ 200 mètres, et le bout du boyau arrive à 80 mètres des tranchées allemandes ; jusque vers 11 heures du soir les Boches ne nous ont autrement inquiétés que par les balles et les fusées ; mais à partir de ce moment alors que toute la compagnie était échelonnée sur toute la longueur du boyau, les Allemands nous ont lancé toute une bande de bombes et d'obus du 77 bien dirigés. Nous n'avons même pas eu un tué ni un blessé à la compagnie, ce qui a été un miracle (car le feu auquel nous étions soumis était violent et précis) ; il n'y a eu qu'un sapeur du Génie maître de corvée qui a été tué. Sous ce feu violent, nous nous sommes retirés difficilement et sommes après plusieurs incidents rentrés à notre cantonnement ; il était 2 heures du matin.

10 juin (jeudi) comme la journée du huit. Le soir départ à 7h pour les tranchées relever le 41e qui n'a fait ainsi que 4 jours. Arrivée à Roclincourt à 2h du matin par une fine pluie qui pénètre bien et fait plein de boue dans les boyaux et qui rend la circulation là-dedans extrêmement difficile ; lorsque nous arrivons nous avons une épaisse couche de terre sur nos effets trempés. Nous sommes logés dans les caves encore intactes des maisons démolies, et où nous dormons bien malgré la fraîcheur.

16 juin (mardi) Nous venons dans les caves et le jardin de Roclincourt, pendant que le 41e d'infanterie fait une attaque et se fait esquinter complètement. Ainsi il restait 1 sous-lieutenant au 2e bataillon sur tous les officiers. Le 16 juin a été pour le 41e ce qu'avait été le 9 mai pour le 70e qui y avait laissé 1 840 hommes. A la 5e compagnie du 41e il ne restait aucun gradé (officiers, sous-officiers et caporaux). Le 70e a eu aussi des tués et blessés par la canonnade.

Nuit du 24 juin au 25 juin. Aucun incident à relater à part quelques coups de fusils de temps à autre pour marquer notre présence. Dans la journée nos 75 bombardent les tranchées des 1es

lignes boches, les 77 répondent aussitôt sur nos premières lignes ; c'est ainsi qu'étant aux créneaux en train de regarder avec le périscope, un 77 est arrivé en plein sur la tranchée, il est passé à 50 cm à ma droite en abattant des sacs de terre et est allé faire un trou dans le derrière de la tranchée, juste derrière moi à moins de 50 cm ; nous étions là cinq dont deux assis ; il n'y a eu que moi à être touché ; ma capote a été déchirée sur l'omoplate droite, par un des éclats de cet obus ; j'ai eu également une petite égratignure derrière l'oreille gauche ; ça été un miracle qu'il n'y ait personne de blessé et même de tué, et c'est la 2e fois que je l'échappe belle des obus. L'après midi il ne fait que pleuvoir, les tranchée sont pleines de boue et d'eau, et nous frais à nous balader là-dedans.

Le 8 juillet (jeudi) journée analogue à celle du 7 juillet . Le soir nous partons pour les tranchées de 1e ligne du côté du cimetière de Neuville St Vaast, (bouleversé par les obus boches) ; nous passons en 1ère ligne les journées du 9, 10, 11, 12. Arrivés le 8 au soir nous sommes relevés dans la nuit du 12 au 13.

Nuit du 11 au 12 lancement des fils de fer barbelés et fixage de ceux-ci sur la plaine. Incident à remarquer. Nous sommes 3 volontaires dont 1 de notre escouade et 1 de la 14e . Pour les autres il faut les menacer pour les décider à monter.

Désiré Robin est déclaré mort pour la France le 13 Juillet 1915 à Duisans ; il en sera de même de son frère Hyacinthe le 14 mai 1916 à Mourmelon-le-Grand.

Julien, l’ainé des frères survivra et épousera Lucie Dupire en 1921 à Douai, tout comme Guillaume, mobilisé en 1918, qui sera religieux.