Kervavarn

 

Dans son aveu au Roy de 1680, le prieur de Locronan déclare "le lieu et village de Kervavarn contenant en fond quinze journal et quart sur lequel il se pait par an audit seigneur prieur six livres de rente foncière tenue à domaine par Noël Pengalet sous le sieur Keridiern".1

Le fond est partagé entre le prieur et le sieur de Kéridiern, le domanier est Noël Pengalet.

La famille Pengalet y est présente depuis plusieurs années puisqu’en 1632-33 Christophe Pengalet doit quinze sols à la fabrique Saint-Ronan "dessus une piesse de terre à Kervavarn proffilté par Christoffle le Pengalet ", et qu'en 1634 cette somme est due par ses héritiers.2

Le nom du village apparaissait déjà dans les aveux du prieur au roi des années 1550 et 1557 sous la forme Kermaho(a)rn et Kermalgorn.3

Kervavarn dans les textes

En 1653 Noel Pengalet, fils de Louis et de Catherine Mauguen, épouse Marie Darcillon, fille de Alain et de Renée Buzennec. Le couple aura plusieurs enfants à Kervavarn. En 1672-73, Noël est fabricien de la chapelle Saint Maurice. Il termine cette fonction avec un déficit de 60 livres, somme qu’il doit rembourser à son successeur Louis Marzin. Ne disposant pas des liquidités suffisantes, il le fait par un contrat de « constitut » de trois livres par an, assis sur "une prée fauchable luy appartenante en fond et propriétté sittué dansdict terrouer de stangarit en ladictte parroisse de locornan a luy escheu par le debcéz et succession de ses deffunct père et mère, donnante devers oriant  sur prée au seigneur prieur de locornan et d’autres endroicts sur les terres du Creach".4 Pour s’affranchir de cette rente il fallait rembourser les 60 livres en une seule fois.
Ce n'est qu'après la nationalisation des biens du clergé sous la Révolution que Jean Louis Sauveur remboursera cette rente en 1795, en vertu des nouvelles lois.5 Au total les tenanciers auront payé 360 livres en 120 ans, soit six fois le capital. Il liquidera simultanément seconde rente de 20 sols assise sur le parc Tyriennou, qui était due depuis de nombreuses années à la fabrique Saint-Ronan.
Il se pourrait que ce soit la rente qui était déjà réglée à la fin du XVIe siècle par Marie Violant, puis Christophe Dagorn, On lit ainsi dans les comptes de fabrique de juillet 1589 à juin 1590 :  "de Marye Violant pour la ferme d’une parée de terre lez Kermavorn autrefoys a Henry Cam (ou Carn?)  xx sols", et l'année suivante, "de Christofle Dagorn pour la ferme d’une piecze de terre a Kermavorn  xx sols".6

Un acte du 15 avril 1663 mentionne son attribution à Louis Pengalet par Yves Gourlaouen, fabrique de l'église Saint Ronan : " ledit Gourlaouen du consentement des paroissiens a cédé et transporté audit Pengalet à titre de censie la dite parée de terre consistante dans un quart et une cordée et demye d'un journal et trois cordées de fossés, donnante d'orient sur sur terres appartenantes en fond au Seigneur prieur dudit saint René, au midy sur la gagnerie dudit lieu de Kervavarn, à l'occident sur terres proffitées par Michel Hémon, nommé Parc Colven et Parc trou, et au nord sur terres audit Seigneur prieur, et séparés par cinq pierres bornales, pour ledit Pengalet en payer par an à ladite fabrique de ladite église, vingt sols tournois de rente censive à la Saint Michel".7

Selon les cahiers de compte de la fabrique Saint Ronan, c'est Noël Pengalet qui paye la rente en 1689-1690, et probablement jusqu'à son décès en 1705. Sur le cahier de 1703-1704 on lit " Plus dessus une parée de terre à kervavarn nommée tiriennou Nouel Le Pengalet doibt de rante cenczie la somme de vingt sols".
Elle sera ensuite règlée par la famille Gourio(1706-1708), par Yves Pengalet (1709), fils de Noël,  et encore par le sieur Gourio en 1718.

René de Gourio, écuyer, sieur de la Villeneuve et du Refuge, né à Guipavas, s’était marié à Locronan avec Marie Trobert, fille de notaire. On ne peut dire avec certitude qu'il résidait à Kervavarn. Le registre de capitation de 1718 mentionne Mathias Guennat, valet de monsieur Gorio, et le 21-6-1723, le parrain de Françoise le Pen est François Moenner compagnon (peut-être compagnon tisserand) chez Monsieur Gourio à Kervavarn.

Il va revendre ses droits à Kervavarn, puisqu’on lit dans le registre des insinuations de Locronan à la date du 13-02-1733 : "Est comparu Guillaume le Bras et femme de Plogonnec lequel a requis insinuation  d’un contract de vente d’hérittages scitué au lieu de Kervavarn en Locronan roturièrement à domaine sous Moelien qu’il a acquis de René Gourio et femme de idem pour la somme de quinze cents douze livres ledit contrat au rapport de quintin le 6e dudit pour l’insinuation duquel j’ai receu 15 livres 02 sols".8 Guillaume le Bras voulait installer sa fille Catherine et son gendre Joseph le Coz, qui auront plusieurs enfants à Locronan, et il leur revend ses droits le 30.10.1743, toujours selon le registre des insinuations : "est comparu Joseph le Coz et femme de Kervavarn en Locronan lesquels ont requis insinuation d’un contrat de vente d’héritages scittué audit lieu roturièment à domaine soubz molien qu’ils ont acquis de Guillaume le Bras et femme de idem pour la somme de neuff cent livres au fieff de Locronan ledit contrat au rapport de Leissegues le 27e dudit pour l’insinuation duquel j’ay receu neuff livres".9

Un autre couple vivait à Kervavarn à la fin du XVIIe siècle : Yves Jannou marié à Françoise Pengalet, fille de Noël. En 1752, on trouve dans l’inventaire des biens d’Anne Boger "la metterie de Kervavan possédée par Jannou, arrentée cy 130 livres 16 sols 9 deniers.10 Il semble donc qu’il y avait deux tenues à cette époque.

Les droits des Le Coz sont vendus à Pierre Sauveur le 3 octobre 175911 :
"Devant les soussignants notaires de la jurisdiction du prieuré de Saint Ronan des bois avec soumission y jurée, furent présents en personnes Joseph le Coz et Catherine le Bras sa femme laditte Le Bras dudit Le Coz son mary à sa prière et requette bien et deument authorisée aux fins cy après demeurants au village de Kervavarn paroisse de Locronan Saint Ronan des bois d’une part, Pierre Sauveur demeurant au village du Creach préditte paroisse de Locronan d’autre part, entre lesquelles parties est reconnu que par acte du dix huictième septembre dernier au rapport de Cosmao notaire royal à Chateaulin, et y controllé le vingtième du même mois, ledit pierre Sauveur aurait obtenu du Seigneur de Moellien la permission de congédier les tenanciers dudit village de Kervavarn… "

Joseph le Coz possédait des droits réparatoires à Kervavarn ; le propriétaire foncier était le seigneur de Moellien, successeur du sieur de Keridiern, qui avait la possibilité de congédier son domanier au terme de son bail. C’est ce qu’il fait en 1759, mais le Coz, propriétaire des bâtiments et des cultures doit être dédommagé11 :

"lesdits Coz et femme ont par ces présentes avec promesse de bonne et vallable garanties aux termes de la coutume ceddés, quittés et délaissés par voye de congément audit pierre Sauveur acceptant, toutes les terres, maisons, droits et héritages tenus à domaine congéable sous ledit seigneur de Moellien audit village de Kervavarn, et par voye de vente pure et simple les droits et le fond de la prerie nommée foennec staric et de deux journeaux et quart de terre chaude dans le champt nommé tiriennou ; cette prerie et ces deux journeaux et quart sittués aux dépendances dudit Kervavarn qui relève en tout roturièrement de la jurisdiction du prieuré, pour de toutes ces terres, maisons et héritages, ledit pierre Sauveur ses hoirs, successeurs et cosayants pouvoir jouir et disposer dès ce jour et a perpétuité et de la même manière qu’en jouissent actuellement lesdits Coz et femme tant par eux que pae Guillaume Moreau leur fermier, la présente cession ainsi faitte et convenue pour les droits réparatoires pour et en faveur d’une somme de quinze cents livres et pour le respect des droits fonciers pour et moyennant celle de trois cents livres, a valloir auxquelles sommes faisants ensembles celle de dix huit cents livres, ledit pierre Sauveur en l’endroit et devant nous dits notaires payé, compté, numéré et réalisé en ecus de trois six et autre bonne monnoye du cour de ce jour, une somme de quatre vingt dix livres auxdits Coz et femme qui l’ont prise, emportée et de cette ont déclarés quitte ledit Sauveur qui s’est obligé et s’oblige de payer le surplus faisant une somme dix sept cents dix livres le jour des premiers généraux plaids qui se tiendront en cette jurisdiction, ou il pourra être déclaré appropriété au présent acquet ; auquel temps lesdits Coz et femme s’obligent de remettre audit Sauveur la copie de déclaration qu’ils ont fournys dudit lieu de Kervavarn audit seigneur de Moellien , meme tous les titres, garants, et enseignements qui concernent les héritages compris au présent, au moyen et payant ledit Sauveur pour l’avenir les rentes royalles et seigneurialles dues et exigibles sur les biens cy devant mentionnés, meme les rentes de vingt sols et trois livres dues aux fabrices de Saint Ronan et Saint Maurice en cette paroisse, se sont lesdits le Coz et femme vendeurs démis devettus et dessaisis de la propriété, possession, ensaisine des droits réparatoires et fonciers cy devant mentionnés en y vettant, mettant et induisant ledit pierre Sauveur voulant et consentant… "

On constate qu’outre les droits réparatoires, les Le Coz possédaient en fond les deux pièces de terre sur lesquelles étaient dues les rentes aux fabriques de Locronan.

          La rente due au seigneur de Moellien va être déclarée par ce dernier dans un aveu de 178812 :

Kervavarn, Aveu de Moellien, 1788

Remarquons que les notaires avaient l’habitude de recopier les anciens actes : l’article ci-dessus fait référence à une baillée du 3 août 1726, surchargée de celle du 18 septembre 1759. Mais ils ont oublié de remplacer le nom de Gourio par celui de Sauveur. La rente est passée de 173 à 181 livres.

Le patronyme Sauveur ne semble pas être d’origine bretonne ; il est fréquent au début du XVIIIe siècle dans plusieurs paroisses autour de la montagne de Locronan. Les Sauveur sont des travailleurs de la forêt, qui se déplacent souvent selon les coupes de bois. Probablement issus du centre de la France, ils ont dû arriver chez nous en passant de forêts en forêts. 

Les parents de Pierre, Thomas Sauveur et Olive le Louard, étaient des charbonniers. Mariés à Langolen, ils ont des enfants à Guengat, Landrevarzec, Landudal, Tremeoc. Marié en seconde noces à Louise Cariou, Pierre continue l’activité de son père, comme le montre un contrat de coupe de bois du 16 avril 1765 entre le seigneur de Lanascol d’une part et "Pierre Sauveur marchand charbonnier, demeurant au lieu de Kervavarn de Locronan et allain Breton aussy marchand charbonnier demeurant mettairie de Nevet paroisse de Plonevez Porzay d’autre part", pour la somme assez considérable de 5000 livres.13

Le seigneur de Moellien ayant émigré, Kervavarn sera vendu sous la révolution le 26 floréal an 6 et acheté par le domanier Jean Louis Sauveur14 :

Il a été allumé un premier feu pendant la durée duquel le fonds du lieu de Kervavarn domaine congéable, détaillé au procès verbal d’estimation du 11 ventose dernier
situé Commune de Locronan
provenant de l’émigré Moelien affermé à Jean Louis Le Sauveur
Suivant bail du                                                     a été exposé
à l’enchère sur une mise à prix de
deux mille deux cent soixante neuf
francs         
et porté à trois mille francs
par le citoyen Sauveur             à quatre mille francs
par le citoyen Lharidon                               et à six mille francs
par le citoyen Vallet
Ce premier feu étant éteint, il en a été allumé huit autres pendant la durée
desquels la plus forte enchère a été portée à
cinquante cinq mille deux cent francs
par le citoyen Sauveur
Un dixième feu a été allumé et s’est éteint sans enchère.
L’Administration, oui le Commissaire du Directoire exécutif, a adjugé adjugé ledit bien à
Jean Louis Sauveur, cultivateur demeurant en la commune de Locronan comme dernier enchérisseur moyennant la somme
de
cinquante cinq mille deux cent francs et aux
conditions précitées, a ledit Citoyen
Sauveur signé.
Enregistré à Quimper le 26 floréal an 6 de la république française, reçu cinquante cinq francs vingt centimes

Le 19 floréal an 4 Jean Louis Sauveur avait déjà acheté une pièce de terre nommée la Montagne de Kerdoutoux15 :

" une grande pièce de terre froide sans cloture appellée la montagne de Kerdoutoux, contenant quarante journaux, donnant du levant sur la taille dite du duc, du midy sur les terres dépendantes du cy devant hopital de Névet, du couchant sur terre du village de Parc David, et du nord sur terre du village de Bourland Bras situé en la commune et canton de Locronan, provenant des biens confisqués sur l’émigré Moellien et non affermé en 1790.

Lequel bien a été évalué conformément à l’article cinq de la loi du vingt huit ventose dernier par les citoyens allain marie lozach expert nommé par le citoyen Jean Louis Sauveur et Nicolas Coadou expert nommé par délibération du département du 9 messidor dernier suivant le procès verbal du douze du même mois vallant de revenu en mil sept quatre dix une somme de 20 livres, et en capital une somme de 440 livres.
Cette vente est faite moyennant le somme de 440 livres".

Cette parcelle est donc située face à Bourlan et Parc David, à l’endroit où la Troménie attaque l’ascension de la montagne de Locronan. C’était une ancienne possession des seigneurs de Keridiern, qui possédaient le village de Kerdoutoux en Plonevez Porzay (Keroutous aujourd’hui). Elle porte le numéro 55 de la section 3 sur le cadastre de 1847.

Le village de Kervavarn va depuis rester propriété des héritiers de Jean Louis Sauveur. Sur le cadastre de 1808, il appartient à sa veuve Anne Senec, et sur celui de 1847 à son petit-fils François, époux de Perrine Cosmao. En 1927, Marie Perrine Sauveur y épouse Yves Hénaff.

En 1847 l'ensemble du village est situé dans la section 3 du cadastre. Voici la liste des lots, avec leur numéro :

Ar Menez (55), Goarem Névez (61, 62), Parc Dibat? (67), Al Leurguer (68,69), Parc Marc'h (71), Parc Lan (72), Ar Balanou (98), An Tiriennou (99), Parc Al Leur (100), Liors Al Leur Gos (101), Parc Calet (103), Ar Gonigou (104), Liors Huela (105), Ar Verger (106), Liors ar Guérit (108), Liors Izella (110), Parc ar Funtun (111, 112), Liors Guéot (113), Foennec Vras (117), Ar Roz (119), Portion Fontaine Lapic (120bis), Parc Mogen( 124), Parc ar Forn (215).

On y retrouve en particulier le parc Tiriennou, déjà cité.

Les environs de Kervavarn, cadastre 1847.

 

 

Notes

1 Arch. Dép. Loire-Atlantique, B 1164, Rentier du prieuré de Locronan, 1680.
2 Archives diocésaines de Quimper, Archives du prieuré, Cahiers de comptes des fabriques, série AAA 7 / 1, 2, 3.
3 Arch. Dép. Loire-Atlantique, B 800, Rentier du prieuré de Locronan, 1550, 1557.
4 Archives diocésaines de Quimper, Archives du prieuré, Contrat de constitut fait par Noel Le Pengallet à la fabrice de Saint Maurice pour en payer par an 60 sols, 1673, série AAA 7 / 1, 2, 3.
5 Arch. Dép. Finistère, 1 Q 763, Pétition de Jean Louis Sauveur demandant le rachat de deux rentes sur le lieu de Kervavarn, 15 prairial an 3 (1795).
6 Archives diocésaines de Quimper, Archives du prieuré, Cahiers de comptes des fabriques, 1588-1601.
7 Archives diocésaines de Quimper, Archives du prieuré, Rente censive de 20 sols attribuée à Louis Le Pengallet, par Yves Gourlaouen, fabrique de Saint René du Bois, 1663.  
8 Arch. Dép. Finistère, 25 C2 10, Acquet d'héritages à Kervavarn par Guillaume Le Bras et femme, de René Gourio, 13-2-1733.
9 Arch. Dép. Finistère, 25 C2 15, Acquet d'héritages à Kervavarn par Joseph Le Coz et femme, de Guillaume Le Bras, 30-10-1743.

10 Arch. Dép. Finistère, 25 C 18, Estimation des biens de la succession d'Anne Boger, 1752.
11 Arch. Dép. Finistère, 1 Q 763, Contrat d'acquet consenty p)at Joseph Le Coz et Catherine Le Bras sa femme, au profit de Pierre Sauveur, 3-10-1759.
12 Arch. Dép. Finistère, 38 J 6, Aveu du Seigneur de Moellien, 1788.
13 Arch. Dép. Finistère, 4 E 36 22, Contrat de coupe de bois, 1765.
14 Arch. Dép. Finistère,1 Q 688, Vente des biens nationaux : le convenant de Kervavarn, 26 floréal an 6.
15 Arch. Dép. Finistère,1 Q 684, Vente des biens nationaux : la montagne de Kerdoutoux, 19 floréal an 4.