Nouvelle Justice

Après la disparition des justices seigneuriales dès le début de la Révolution, il a fallu rebâtir tout le système judiciaire :
Reconstruire une nouvelle organisation, avec des magistrats élus. Au niveau local, les degrés judiciaires successifs seront le tribunal de famille, la justice de paix, avec un juge de paix élu, le tribunal de district.
Établir une nouveau code pénal (décret du 25 septembre 1791)1, qui définit les peines et les délits. On n'y retrouve plus ceux liés à la féodalité ou à la religion (comme le blasphème, sacrilège, etc..).
Revoir la procédure criminelle2 (décret du 29 septembre 1791 suivi de la loi du 21 octobre 1791).
Les anciennes justices employaient un nombreux personnel judiciaire, sénéchal, procureur fiscal, procureurs, avocats, notaires et greffiers, qui vont perdre leur fonction dès le début de la Révolution. Locronan étant chef-lieu de canton, il ne va subsister qu'un juge de paix et de police, et deux notaires. Jean Georget sera élu juge de paix et un arrêté de l'assemblé législative du 6 août 1792 fixera à deux le nombre de notaires3, qui seront Germain Jean Guillaume Leissegues et Jean Ollivier Mancel.
A Châteaulin on ouvre un registre destiné à l'enregistrement des procédures judiciaires au mois de février 17924 :
"Le présent registre contenant le nombre quatre vingt dix feuillets premier et dernier compris a été par nous Jacques Jean François de Leissègues juge du tribunal de district de Châteaulin et directeur du juré d'accusation du même district chiffré et millésimé par premier et dernier feuillet cotté et paraphé à chaque pour servir à y inscrire conformément à la loi en forme d'instruction pour la procédure criminelle du 21 octobre 1791 tout ce qui sera relatif aux procédures qui se feront devant le tribunal et le juré d'accusation de district".
Vol du trésor de l'église de Plonévez-Porzay.
La première procédure est celle "relative au vol commis en l'église de Plonévez-Porzay (canton de Locronan) dans la nuit du 2 au 3 décembre 1791". Le juge de paix, Jean Georget, transmet les pièces du dossier au tribunal de district de Châteaulin le 23 février 1792, et le prévenu Henri Mançon y est aussitôt convoqué. C'est "un homme de moyenne taille, vêtu d'un pourpoint d'étoffe blanc, portant barbe et cheveux noirs, gilet d'étoffe blanc salle, grande culotte et guêtres de toile, ceinture de cuir large avec grande boucle de cuivre jaune et tenant en sa main un chapeau noir". "Forgeron grossier de profession", de Concarneau, il déclare pouvoir faire sa déclaration en français. Il admet être passé à Locronan pour aller à Brest y acheter du fer, mais c'était fin novembre ; il nie toute participation à ce vol dont il n'avait même pas connaissance.
L'acte d'accusation est établi sur la base du rapport de l'enquête menée par Jean Georget et les gendarmes de Châteaulin. Un mandat d'arrêt est délivré contre trois personnes soupçonnées du vol : Henri Mançon, le seul interpellé, Alain Le Calvez et un troisième quidam. Les circonstances du vol sont décrites en détail : les voleurs se sont d'abord introduits dans la "sacristie noire" de l'église paroissiale où ils ont eu accès au coffre du trésor. Non sans mal, ils y ont fait un trou par lequel ils ont passé la main pour en extraire des pochons contenant de l'argent, mais en "oubliant une somme de 48 livres en écus de 6 livres, quatre sous et six deniers". Ils se sont ensuite rendus à la chapelle Saint Michel, où l'on a retrouvé plusieurs pochons vides et, dans un fossé proche, les outils utilisés : "neuf rossignols de différente grandeur, un cizeau froid, un cizeau creux ou gouge, une scie à main, une tarière creuze à manche de fer, un canon de fusil dont le gros bout creuzé en forme de visse, un grand levier de fer quarré rompu des deux bouts et marqué au gros bout des lettres s : p : c: r, un forret dont un bout fait en forme de visse pour broyer le fer et la pierre, et rompu dans son extrémité et l'autre bout en forme de crochet et est ledit forret plié en son milieu en forme de broche à main, un autre forret dans un bout aussi en forme de visse pour le même usage que le précédent et l'autre bout en pince à lever" . On voit que les malfaiteurs étaient bien équipés.
Le dossier est ensuite transmis à un juré d'accusation, dont les membres ont été tirés au sort, et où sont convoqués les témoins : Guy Marie L'Helgouarch, sacristain de Plonévez-Porzay, Jeanne Françoise Le Guillou, épouse d'Yves Le Doaré, Pierre Le Floch père, Marie Joseph Genin, épouse de Pierre Le Floch fils, Ignace le Garrec cordonnier, Jean Banalec, Jacques Lautrou, Meven Le Cerf, aubergiste, Marie Cariou sa femme, tous de Plonevez-Porzay, Gabriel Le Baron et Hélaine Le Niger sa femme, aubergistes, de Goulet ar Guer, Plonevez-Porzay, Jean Chapalain et Jean Ligavan, loueur de chevaux, et Marie Brélivet, femme de François Salaun, ces derniers de Locronan. Mais aucun procès verbal d'interrogation de ces témoins ne figure au dossier. Ils devaient apporter les éléments de preuve de la participation des prévenus au vol en question, puisque le jury du tribunal de district doit valider, ou non, leur mise en accusation, pour les transférer au tribunal criminel départemental de Quimper. La réponse de ce jury sera affirmative, et le dossier transmis à Quimper (selon la loi les prévenus pouvaient choisir entre les tribunaux de Quimper, de Vannes ou de Saint-Brieuc).

L'affaire Grandmoul.
En 1793 la Révolution doit faire face à des difficultés économiques, qui se manifestent par une pénurie accompagnée d’une hausse des prix. Nombreux sont ceux qui dénoncent "les accapareurs et l'agiotage, sources désastreuses de la misère du peuple". Un décret est adopté le 27 juillet 17935 par la Convention nationale.
Article premier : L'accaparement est crime capital.
Article 2 : Sont déclarés coupables d'accaparement ceux qui dérobent à la circulation, des marchandises ou denrées de première nécessité, qu'ils achètent et tiennent enfermées dans un lieu quelconque, sans les mettre en vente journellement et publiquement.
Article 4 : Les denrées et marchandises de première nécessité sont le pain, la viande, le vin, etc.., les draps, la toile, et généralement toutes les étoffes, ainsi que les matières premières qui servent à la fabrication, les soieries exceptées.
Les marchands sont tenus de publier l’état de leur stock et des commissaires, mis en place par les communes, sont chargés des vérifications. Ce décret sera suivi au mois de septembre par les lois du maximum général, qui fixent un prix maximal pour les denrées de première nécessité : produits alimentaires (grains, farine, viande etc…) ou autres (savons, papier, métaux, textile). Les condamnations pouvaient aller jusqu’à la peine de mort.
En mars 1794, Jean Grandmoul et son épouse Marie Le Guédès seront poursuivis " pour avoir rescellé des pièces de toiles à l’effet de les dérober à la circulation en contravention à la loi du 26 Juillet 1793 l’an 2 de la République contre les accapareurs ".
"Le troisième décady de la troisième décade de ventose de l'an second de la République une et indivisible, le directeur du juri au tribunal du district de Ville sur Aone instruit l'arrestation de Jean Grandmoul de la commune de Locronan, accusé d'avoir recelé des effets de première nécessité", l'a interrogé à l'auditoire de cette ville. C'est un marchand de toile de 33 ans, "de taille ordinaire, ayant cheveux et barbe noire, vêtu d'un habit bleu et d'un gilet blanc, portant un chapeau noir à la main". Les officiers municipaux s'étant présentés chez lui en son absence, sa femme Marie Le Guedes "fut interpellée de déclarer la quantité de toiles qu'il avait à sa disposition et répondit n'en avoir pas une seule". Les officiers municipaux se retirèrent en la maison commune, mais ayant été prévenus que depuis qu'ils étaient sortis on y avait vu porter des toiles, ils y revinrent en la présence des deux époux, et leur firent la même interpellation, qui reçut la même réponse. Une perquisition leur permit de trouver "dans une barrique effoncée en l'écurie, trois pièces de toile recouvertes par les harnois des chevaux et dont lesdits officiers municipaux s'emparèrent et firent transporter en la maison commune". D'où le procès verbal du comité de surveillance de Locronan, portant que "Jean Grandmoul serait saisi sur le champ par la gendarmerie nationale de Locronan et conduit en maison d'arrêt à Ville sur Aône pour être soumis au jury d'accusation".
La réponse du jury d'accusation, rendue le 19 ventose an II sera négative, car Grandmoul était absent lors de la première visite. Il est libéré, mais la même procédure reprend à l'encontre de son épouse, "femme de petite taille, vêtue d'un justin bleu, jupe de flanelle à ris, tablier de coton mellé". Cette fois-ci, le jury d'accusation rendra une réponse positive le 9 germinal an II. Marie Le Guédes est transférée à Quimper pour comparaître devant le tribunal criminel. Mais ce dernier annule l'acte d'accusation du 9 germinal, et le dossier revient pour être examiné par un jury spécial le 6 floréal an II (25 avril 1794) . Marie Le Guédes est autorisée à se retirer chez un particulier "pour cause de maladie, jusqu'à son rétablissement". Entre temps les commissaires aux accaparements avaient été supprimés le 12 germinal an II (1er avril 1794) ; les lois du maximum seront abolies en décembre 1794. Marie Le Guédes va pouvoir revenir à Locronan, où elle décède en 1812.

Maison Grandmoul en 1794

Maison d'un marchand de toile en 1794

Le couple Jean Grandmoul et Marie le Guédes habitait une très belle maison de la rue des Charettes, qui sera plus tard celle de Guillaume Hémon, maire de Locronan de 1945 à 1947.
La justice de paix de Locronan va subsister jusqu'au du 7 brumaire an X (29 octobre 1801)6, date à laquelle elle est supprimée pour être rattachée à celle de Châteaulin. Jean Georget y aura exercé jusqu'au bout les fonctions de juge de paix.

Notes
1 Archives Parlementaires de 1787 à 1860, Nouveau code pénal, Paris, 1888 , T31 pp328-42.
2 Archives Parlementaires de 1787 à 1860, Instructions sur la procédure criminelle, Paris, 1888 , T31, pp642-68.
3 Archives Parlementaires de 1787 à 1860, Nombre de notaires pour le district de Châteaulin, Paris, 1896, T47, p512.
4 Arch. Dép. Finistère, 70 L 15, Registre du tribunal de district de Châteaulin, ouvert le 21 février 1792.
5 Archives Parlementaires de 1787 à 1860, Décret sur l'accaparement, Paris, 1906, T69, p594-5.
6 Bulletin des Lois de la République Française, Arrêté du 7 brumaire an X portant réduction des justices de paix du département du Finistère, Paris, Pluviose an X, T4, p426.