Après la Révolution

La commune est devenue propriétaire des terres de son ancien prieuré qui n'ont pas trouvé d'acquéreur lors de la vente des biens nationaux : ce sont essentiellement des landes incultes situées sur la montagne. Elle possède aussi l'église Saint-Ronan, en très mauvais état après la chute de son clocher en 1808, dont il faut assurer l'entretien. Mais les ressources de la fabrique sont devenues très faibles, tout comme celles de la commune, qui souffre du déclin de sa manufacture de toiles à voiles. Locronan va connaître un XIXème siècle de misère et de stagnation.

Les registres de délibération des conseils municipaux, conservés depuis 1826, les recensements qui débutent en 1831, tout comme plusieurs récits de voyages, témoignent de ces nombreuses difficultés.

Au début du siècle, entre 1805 et 1807, Armand Maufras du Chatelier évoque les quelques années heureuses qu'il a passé à Locronan au cours de son enfance1 :

Placés sur un lieu de passage pour tous les marins français qui se rendaient de l’intérieur à Brest à l’aide de chevaux de relais, seul moyen de transport quand le service des diligences n’avait point encore été régularisé, nous avions l’occasion, presque chaque jour, de voir sur la place publique de Locronan des officiers et de nombreux marins du port de Brest ou de Lorient, en quête de chevaux de louage. Ces officiers et ces marins se promenaient plus ou moins de temps au milieu des habitants, toujours curieux de les voir et de leur offrir leurs services. Jeunes et curieux nous-mêmes, comme les plus avisés de la localité, nous étions de tous les groupes et de toutes les conversations. Nous avions d’une autre part, comme tous les jeunes enfants de l’endroit, nos fouets tressés de chanvre pareils à ceux des loueurs de chevaux qui offraient leurs localis ; et faisant claquer nos touches à coups répétés, nous eussions été prêts comme eux à prendre notre course à la suite des partants pour ramener leurs chevaux si nous n’avions pas eu nos verbes et nos déclinaisons à répéter au bon M. Vistorte, notre maître ès toutes sciences.

Mais quelques années plus tard, la description de Locronan par J.F. Brousmiche dans son "Voyage dans le Finistère en 1829, 1830 et 1831" est peu flatteuse2. La petite ville y est évoquée comme un ilot de misère dans un bocage enchanteur. Il y arrive par la route de Douarnenez, après avoir traversé Kerlaz :

"A partir de ce point, jusqu'à Locronan, ou plutôt Loc-Renan, on se promène dans un bocage enchanteur, dans des sentiers couverts de feuillage, on traverse des terres fertiles, bien cultivées ; enfin de riantes habitations se présentent continuellement pour embellir, orner le tableau varié qui s'offre à la vue.

Locronan est situé à moitié de la haute montagne qui porte le même nom. C'est un gros bourg qui peut renfermer cent cinquante maisons. Une place assez belle, une église gothique le décorent. Toutes les maisons y sont bâties en pierres et celles qui cernent la place présentent un aspect régulier. On ne trouve à Locronan d'autre eau à boire, que celle d'un puits établi sur la place même. La population de ce bourg est misérable ; les femmes, les enfants en haillons, y sont un spectacle de dégout : tous tendent la main au petit nombre de voyageurs traversant cette bourgade ; on y est harcelé par la foule des mendiants. Il appartiendrait à la marine de relever cette population abâtardie, de l'enlever à sa misère, de rendre ce pays entier aussi florissant qu'il le fut autrefois".

Cette prospérité passée était due à la production de chanvre et la fabrication des toiles à voiles. Mais depuis les refus de la marine de continuer à s'y approvisionner, "on y a négligé la culture du chanvre, les métiers y ont été forcément abandonnés et les ouvriers tisserands sans ouvrage, sans pain, assiègent sur le grand chemin le voyageur qu'ils suivent et qu'ils étourdissent par leurs gémissements, par leurs prièrent".

La situation reste la même en 1844, lors d'une visite de Jean-Baptiste Lassus relatée dans un article des Annales Archéologiques:

"En traversant le bourg, nous nous étions arrêtés, surpris de la recherche que présentent toutes les maisons ; nous étions étonnés devant toutes ces façades en pierre de taille, et qui même souvent sont ornées de sculptures. Malheureusement, semblables à ces beaux fruits que le ver a piqué au cœur, toutes ces tristes habitations n’ont plus que l’enveloppe et servent aujourd’hui à la plus affreuse misère. Presque partout les planchers sont défoncés, les cloisons renversées, les combles à jour, et tous ces pauvres propriétaires ne peuvent rien pour réparer leurs maisons, rien pour améliorer leur sort ; l’industrie les a ruinés en leur enlevant leur seule ressource, le tissage des toiles à voile !".

Il ajoute que malheureusement le recteur « se trouve dans une localité sans ressources, et l’église est à peu près dans le même état que les habitations du bourg. Des voûtes défoncées, des murs perclus d’humidité, des vitres brisées, tel est le spectacle qui frappe et attriste le visiteur ; et ce monument présente un véritable intérêt.".

En 1843, notons aussi la conclusion de Cariou, commentateur d'Ogée, dans son article sur Locronan4 :

"Ce lieu est maintenant de l'aspect le plus triste ; tout y démontre la pauvreté. Si ce n'était les cinq foires de bétail qui s'y tiennent, sa grande Tro menec'hi, qui dure huit jours, et ses trois autres pardons d'un jour chacun, la vie y semblerait éteinte, et ce ne serait qu'un désert."

Il faudra attendre la fin du siècle pour voir le début de la modernisation, le classement des vieilles maisons de la place, et l'afflux des visiteurs au cours des étés touristiques.

Notes :

1 A. MAUFRAS du CHATELIER, Notes et Souvenirs, Archives de la famille Maufras du Chatelier, Orléans, 1881.
2 J.F. BROUSMICHE, Voyage dans le Finistère en 1829, 1830 et 1831, Morvran, Quimper, 1977, T 2, pp 328-36.

3 J.B. LASSUS, Légende et tombeau de Saint-Ronan, Annales Archéologiques, 1844, p186-189.
4 J.B. OGEE, Dictionnaire Historique et Géographique de la province de Bretagne, Edition originale, Vatar, Nantes, 1779 ; Nouvelle Edition revue et augmentée, Molliex, Rennes, 1843.