Ecole

 

L'histoire des écoles du Finistère à l'époque révolutionnaire a été étudiée en détail par Louis Ogès, dans six articles parus entre 1937 et 19421,2. Avant 1789, c'était les prêtres qui assuraient l'instruction dans les petites paroisses comme celles du Porzay. Les meilleurs élèves pouvaient ensuite fréquenter les collèges des villes proches comme Quimper.

C'est à partir de 1793 que les nouvelles structures de l'enseignement vont être élaborées au Parlement. Plusieurs projets de décrets sur l'école y sont discutés, avant que celui du 29 frimaire an II (19 décembre 1793) soit adopté3. Les articles un et deux, section I, déclarent que l'enseignement est libre et qu'il sera fait publiquement. Les citoyens qui se vouent à l'instruction ou à l'enseignement de quelque art ou science que ce soit, seront désignés sous le nom d'instituteurs et d'institutrices (article 4). Ils devront déclarer à la municipalité de la commune qu'ils ont l'intention d'ouvrir une école et devront produire un certificat de civisme signé du conseil général de la commune (article 3). La section II traite de la surveillance de l'enseignement et la section III décrit le premier degré d'enseignement. L'école devient obligatoire pendant trois ans, les traitements sont fixée à 20 livres par élève pour les instituteurs et 15 livres pour les institutrices etc.

Le 8 pluviôse an II (27 janvier 1794), un autre décret viendra compléter le précédent4. Il s'agit d'apprendre le français aux enfants qui ne parlent qu'une langue régionale.

Citons quelques articles :

Art. 1 Il sera établi, dans dix jours à compter du jour de la publication du présent décret, un instituteur de langue française dans chaque commune de campagne des départements du Morbihan, du Finistère, des Côtes-du-Nord et dans la partie de la Loire-Inférieure dont les habitants parlent l'idiome appelé bas-breton.

Art. 4 Ils seront tenus d'enseigner tous les jours la langue française et la déclaration des droits de l'homme à tous les jeunes citoyens des deux sexes, que les pères, mères et tuteurs sont obligés d'envoyer dans les écoles publiques.
Les jours de décadi, ils donneront lecture au peuple et traduiront vocalement les lois de la République, en préférant celles qui sont analogues à l'agriculture et aux droits des citoyens
.

Art. 5 Les instituteurs recevront du Trésor public un traitement de quinze cents livres par an, payable à la fin de chaque mois à la caisse du district, sur le certificat de résidence donné par la municipalité et d'assiduité et de zèle dans leurs fonctions, donné par l'agent national près chaque commune.

Les conditions de ce décret étaient particulièrement avantageuses pour le traitement, ce qui devait attirer de nombreux volontaires.

A Locronan, la candidature de Guy Bernard est examinée et approuvée le 12 germinal an II (premier avril 1794), par la société républicaine des sans-culottes de Ville-sur-Aulne5 :

"Vive la Montagne
Liberté, égalité, fraternité ou la mort.
Extrait des registres de la société républicaines des sans-culottes de Ville sur Aône cy devant Châteaulin

Du douze germinal l'an deux de la République française une et indivisible

Séance présidée par le citoyen Fénigan, Barbanson, et Robert de Leissègues secrétaire

La séance etc.

Un membre a demandé l'ordre du jour ; en conséquence le citoyen Bernard, désirant être instituteur de la langue française en la commune de Locronan, a monté à la tribune et y a expliqué vocalement en langage vulgaire breton une partie de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il a été procédé pour son admission ou inadmission à un scrutin, duquel dépouillement fait, le président a annoncé que le citoyen Bernard est désigné pour être instituteur de ladite commune de Locronan.
La séance a été terminée etc.

Certifiée conforme au registre par nous président et secrétaire de la société.

Fénigan président, Barbanson secrétaire, R:L:de Leissègues secrétaire ".

Paradoxalement, pour enseigner la langue française, Bernard doit expliquer une partie de la déclaration des droits de l'homme en son langage vulgaire breton !

Le 26 germinal an II (15 avril 1794), Bernard demande aux représentants du peuple à Brest d'entériner cette nomination6 :

"Liberté, égalité, fraternité ou la mort.

Citoyens représentants

Je vous envoie ci-jointe ma désignation à la place d'instituteur pour la commune de Locronan ; je vous prie d'y mettre votre approbation.

Salut et fraternité

Guy Bernard.

A Locronan le 26 germinal an deux de la république".

Il y joint le certificat de civisme exigé par la loi, daté, sans doute par erreur, du 26 ventôse an II7 :

"Le conseil général de la commune de Locronan, district de Ville sur Aulne, département du Finistère,

Aux citoyens Représentants du peuple à Brest

                                                           Citoyens représentants,

La société populaire de Ville sur Aulne a désigné pour instituteur public de cette commune le citoyen Guy Bernard ; elle n'a fait que seconder notre vœu. Ce citoyen a plus d'un titre a notre confiance ; il joint a une conduite républicaine les talens propres à l'instruction. Par son civisme il a de tout tems fait voir qu'il est bien porté pour la chose publique ; en conséquence, citoyens représentants, nous vous prions de nous donner le citoyen Bernard pour instituteur. Personne n'est plus digne que lui de remplir les devoirs d'un établissement d'une si grande importance.

            Salut et fraternité

Les membres composant le conseil général de la commune de Locronan, canton du même nom.

Kervern maire, J. Bossennec officier municipal, Albert notable, J.Gueguen,

Nicolas Alix, Houarner notable, Le Lons agent national, Le Doaré Secrétaire greffier

Nous citoyens composant le comité de surveillance, nous nous adjoignons au conseil général de cette commune pour vous demander, citoyens représentants, le citoyen Guy Bernard pour instituteur

Liouffre, Georget, Jean Rivoal, Ronan Piclet".

Si les décrets précédents ont justifié les nominations d'instituteurs, ils n'ont pas été toujours suivis d'ouvertures d'écoles. Mais les instituteurs nommés ont pourtant commencé leur mission, comme le montre le témoignage d'Alain Kernaléguen dans une pétition du 16 germinal an IV (5 avril 1796)8 : " En exécution de la loi du 24 pluviôse de l'an 2e on nomma des instituteurs dans le département du Finistère. Je fus nommé dans la commune de Plonevez Porzay. Je me flatte d'avoir rempli ma tache. Je ne crus point qu'elle consistait à apprendre à lire à des enfans. Je ne vis là que le matériel de l'éducation. Je m'occupais particulièrement à leur imprimer le respect de la loi, le sentiment de leurs droits et de leurs devoirs, à dissiper les ténèbres de l'ignorance qui abrutit si longtems leurs malheureux ayeux et qui fut la source féconde de l'oppression sous laquelle ils gémirent, à les élever enfin à la dignité de l'homme".
Il sera aussi élu président de l'administration cantonale de Locronan.

D'autres lois vont remplacer les précédentes, le 27 brumaire an III (17 novembre 1794)9, puis le 3 brumaire an IV (25 octobre 1795)10.

La première détaille abondamment la création des écoles primaires, la nomination, les obligations et le salaire (1200 livres par an) des instituteurs, les matières enseignées. Elle prévoit en particulier que "dans toutes les communes de la république, les ci-devant presbytères non vendus au profit de la république, sont mis à la disposition des municipalités, pour servir, tant au logement de l'instituteur, qu'à recevoir les élèves pendant la durée des leçons ; en conséquence tous les baux existants sont résiliés".

Cela explique pourquoi, lors de l'expertise de la maison priorale du 24 thermidor an IV (11août 1796), il est écrit que "dans le cours de nos opérations ledit Bernard agent [et aussi instituteur] nous ayant représenté que ladite maison priorale ne devait être estimée ny vendue attendue qu’elle est essentiellement nécessaire à l’instruction publique et que d’ailleurs il est de principe reconnu par l’administration qu’aucun édifice public ne peut être aliéné"11.

En octobre 1795, un premier décret impose que "chaque école primaire sera divisée en deux sections, une pour les garçons, l'autre pour les filles : en conséquence li y aura un instituteur et une institutrice". Un autre décret décrit, une fois de plus, l'organisation des écoles primaires.

Un état des instituteurs et institutrices du district de Châteaulin daté du 24 prairial an III (12 juin 1795), mentionne pour le canton de Locronan12 :

Locronan (691 habitants) : Bernard et Gueguenou.
Quemeneven (1130 habitants) : Lozach et Boishardy.
Plonévez (2033 habitants) : Donnard et Floch.

Dans les deux premières communes il s'agit de deux couples, Guy Bernard, marchand de vin, et son épouse Marie Sébastienne Gueguenou d'une part et Alain Lozach, notaire, époux de Marie Jeanne du Boishardy d'autre part. Ces bourgeois locaux devaient probablement trouver la profession suffisamment rémunératrice pour vouloir l'ajouter à leurs occupations ordinaires.

Mais ces écoles primaires ont-elles réellement vu le jour ? Une lettre datée du 28 pluviôse an 06 (16 février 1798), de l'administration cantonale de Locronan à l'administration centrale du Finistère13, permet d'en douter :

"En réponse a votre lettre sans date par laquelle vous nous invitez à vous transmettre l'état nominatif des élèves qui fréquentent les écoles primaires de notre canton, nous vous répondons qu'aucun élève ne fréquente ces écoles, parce qu'il n'en existe pas encore dans le canton ; mais si les écoles étaient établies et des instituteurs nommés les jeunes citoyens de ce canton s'empresseroient de les fréquenter. Nous avons dans le chef lieu de notre canton une maison conservée pour le logement de l'instituteur aussitôt que les écoles seront en activité dans notre canton. Nous ne négligerons rien pour surveiller les instituteurs qui doivent à leurs élèves l'exemple des bonnes mœurs et écarter ceux qui par leur action leurs discours chercheroient à affaiblir en eux le respect et l'attachement du au gouvernement républicain.

Salut et fraternité.

Mancel, Kernaleguen président

Saliou agent,                        Parmentier Secrétaire".

La situation n'a pas évoluée en 1799. Un rapport moral du premier messidor an VII (19 juin 1799)14 dit que "l'instruction publique est toujours négligée dans ce canton, à défaut de moyens et d'instituteurs".

Sous le premier Empire, l'éducation des enfants des familles aisées sera à nouveau confiée au recteur, comme le montre l'évocation par Armand Maufras du Chatelier de son enfance à Locronan vers 1805-180715 :

" Je fus mis en pension à l'age de huit ans chez un brave curé de la petite ville de Locronan où demeurait une sœur de ma mère mariée à M. de Leissègues-Rozaven, notaire de l'endroit. Je passai deux années complètes avec trois autres pensionnaires comme moi chez l'honorable ecclésiastique qui avait bien voulu recueillir dans son modeste presbytère, les jeunes gamins dont la garde lui avait été confiée…

..Nous avions d’une autre part, comme tous les jeunes enfants de l’endroit, nos fouets tressés de chanvre pareils à ceux des loueurs de chevaux qui offraient leurs localis ; et faisant claquer nos touches à coups répétés, nous eussions été prêts comme eux à prendre notre course à la suite des partants pour ramener leurs chevaux si nous n’avions pas eu nos verbes et nos déclinaisons à répéter au bon M. Vistorte, notre maître ès toutes sciences".

François Vistorte avait été nommé recteur de Locronan en 1803 ; il instruisait plusieurs enfants dont, entre autres, la fille de Monsieur de Rozaven.

La situation évoluera peu jusqu'à la loi Guizot du 28 juin 1833, qui impose à chaque commune d'entretenir une école. La municipalité envisage son installation dans le vieux presbytère près de l'église, mais il est en très mauvais état et les finances de la commune ne permettent pas de financer les réparations nécessaires. Elle sera finalement implantée dans la maison qui est aujourd'hui la mairie, achetée en 1843. Le premier instituteur de cette école sera Yves Brélivet, agéé en 1844. Lors du recensement de 1846, il habite la maison avec son épouse Sophie Kernaléguen.

Notes

1 OGES, Louis, "L'instruction sous l'ancien régime dans les limites du Finistère actuel", Bulletin  Soc. Arch. du Finistère, 1936, pp. 69-135 ; 1937, pp. 3-44.
2 OGES, Louis, "L'instruction dans le Finistère pendant la Révolution", Bulletin  Soc. Arch. du Finistère, 1939, pp68-102 ; 1940, pp.109- ; 1941, pp.68-95 ; 1942, pp.69-.
3 Archives Parlementaires de 1787 à 1860,Décret sur l'organisation de l'instruction publique, 29 frimaire an II , Paris,1901, T81 p705-707.
4 Recueil général des lois, décrets, ordonnances, etc., Décret qui ordonne l'établissement d'instituteurs de langue française dans les campagnes de plusieurs départements dont les habitants parlent divers idiomes, 8-10 pluviôse an II.
5 Arch. Dép. Finistère, 8 L 105, Désignation de Bernard comme instituteur de Locronan, 12 Germinal an II.
6 Arch. Dép. Finistère, 8 L 105, Op. cit.7 Arch. Dép. Finistère, 8 L 105, Op. cit.
8 Arch. Dép. Finistère, 8 L 105, Pétition de Alain Kernaléguen, 16 germinal an IV.
9 Recueil général des lois, décrets, ordonnances, etc., Décrets relatifs aux écoles primaires, 27 brumaire an 3, Paris, 1839, Tome V, pp.399-401.
10 Recueil général des lois, décrets, ordonnances, etc., Décrets sur l'organisation de l'enseignement public, 3 brumaire an 4, Paris, 1835, Tome VI, pp.294-300.
11 Arch. Dép. Finistère, 1 Q 507, Expertise de la maison priorale de Locronan, 24 thermidor an IV.
12 Arch. Dép. Finistère, 23 L 60, Etat des élèves dans les écoles du canton de Locronan, 28 pluviôse an VI.
13 Arch. Dép. Finistère, 8 L 105, Op. cit.
14 Arch. Dép. Finistère, 10 L 120, Compte général sur la situation morale et politique du canton de Locronan, Messidor an VII.
15 A. MAUFRAS du CHATELIER, Notes et Souvenirs, Archives de la famille Maufras du Chatelier, Orléans, 1881.